Syriza (Coalition de l’alliance radicale de gauche et progressiste) continue de perdre massivement des soutiens, suite à l’élection à la tête du parti de l’ancien armateur et banquier Stefanos Kasselakis. Kasselakis a été élu le 24 septembre à la suite de la déroute du parti lors des élections législatives grecques de cet été.
Les résultats catastrophiques du parti lors des élections locales qui se sont déroulées au cours des deux premières semaines d’octobre ont permis à la Nouvelle Démocratie (ND), le parti conservateur au pouvoir, de remporter la victoire. ND a remporté six des sept préfectures grecques lors du premier tour le 8 octobre, la Crète ayant été remportée par le parti social-démocrate PASOK. Pour la première fois depuis 2014, le candidat de Syriza n’a pas atteint le second tour des élections municipales à Athènes, et a été réduit à appeler à voter pour le candidat victorieux du PASOK, Haris Doukas. Ces résultats ont été publiés après la sortie du premier sondage d’opinion réalisé à l’échelle nationale depuis que Kasselakis a pris la tête du parti. Publié fin septembre, ce sondage a montré que Syriza n’avait le soutien que de 14 pour cent des personnes interrogées.
Syriza a bafoué le soutien massif à son on mandat anti-austérité en 2015 pour imposer des mesures plus brutales que les précédents gouvernements dirigés par la ND et le PASOK, ce qui lui a valu d’être chassé du pouvoir en 2019 et de ne jamais s’être remis de cette trahison.
Kasselakis était inconnu en Grèce jusqu’à cette année, après avoir vécu aux États-Unis. Il a d’abord travaillé comme trader chez Goldman Sachs, puis a dirigé plusieurs compagnies maritimes.
En 2008, il s’est porté volontaire pour la campagne des primaires présidentielles de Joe Biden et a travaillé au Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), l’un des principaux groupes de réflexion de l’impérialisme américain. Comme l’a noté le WSWS lors de son élection à la tête de Syriza, dans une situation géopolitique où deux guerres font rage en Ukraine et au Moyen-Orient, Kasselakis a été parachuté dans la politique grecque avec l’intervention active de Washington pour s’assurer que l’alignement pro-OTAN d’Athènes soit maintenu.
Les médias ont tenté d’occulter ce fait en présentant Kasselakis comme un progressiste et en insistant sur le fait qu’il est le premier chef de parti ouvertement homosexuel en Grèce. Mais le contenu de droite de sa politique n’était pas un secret.
Dans une tribune publiée en juillet par le journal conservateur Kathimerini, il a déclaré: «Si l’intention est de gouverner à nouveau, SYRIZA devrait copier la formule américaine dès que possible. Embrasser sans équivoque le centre politique également, indiquer clairement qu’une gestion fiscale prudente n’est pas négociable et mettre en avant le talent de gestion de son futur cabinet».
Les premiers fruits de la direction de Kasselakis ont été la déclaration de Syriza en réponse au soulèvement palestinien lancé depuis Gaza le 7 octobre. Celui-ci a été condamné, tout en «exprimant sa solidarité avec le peuple d’Israël» et en déplorant cyniquement la «violence continue venant de tous les côtés dans la région».
Dans un discours prononcé le 10 octobre devant le syndicat patronal de la Fédération des industries (SEV), Kasselakis a déclaré que Syriza «passait à l’étape suivante de sa route historique, celle d’une gauche moderne qui ne diabolise pas le mot “capital”, mais le considère comme un outil de prospérité permettant de réduire les énormes inégalités grâce à une croissance forte».
Les implications pour la classe ouvrière de l’accession de cet homme de droite à la tête de Syriza ont été présentées de manière très claire dans un rapport d’enquête publié le 21 octobre dans le quotidien grec I Efimerida Ton Syntakton. Ce rapport a mis à nu la perspective vicieusement hostile à la classe ouvrière de Kasselakis, en rassemblant des informations tirées d’articles qu’il a écrits pour le journal de droite gréco-américain National Herald entre 2007 et 2015.
En 2007, il a exprimé son soutien aux tentatives du gouvernement ND de Kostas Karamanlis de créer des universités privées. Ces propositions ont été abandonnées face à l’opposition massive des étudiants. Attaquant le PASOK pour s’être opposé aux mesures après les avoir initialement soutenues, Kasselakis a écrit: «Si [le PASOK] avait eu le courage politique de soutenir le changement, avec lequel [il] était initialement d’accord, les étudiants auraient tout autant été battus par la police antiémeute, mais au moins l’état de l’éducation aurait été radicalement remis en question et aurait changé».
Kasselakis a également exprimé son soutien aux politiques d’austérité qui, après 2010, ont été mises en œuvre par les gouvernements successifs du PASOK, de la ND et de Syriza à la demande de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et de la «troïka» du Fonds monétaire international. Il a écrit qu’il était nécessaire de tirer parti des salaires relativement plus bas en Grèce par rapport au reste de l’Europe «afin de renforcer la compétitivité des entreprises grecques à l’étranger ou des entreprises étrangères en Grèce». Il a ajouté que «la Grèce a besoin depuis quelques années de l’application de l’économie de l’offre de Reagan».
En février 2012, au plus fort des mesures d’austérité mises en œuvre par le gouvernement de coalition de la ND, du PASOK et du parti d’extrême droite LAOS dirigé par le banquier non élu Loukas Papadimos, Kasselakis a approuvé la baisse du salaire minimum. Il s’agit d’une «mesure positive» car «elle rend le pays plus compétitif tout en maintenant les petites entreprises à flot».
Dans le même article, Kasselakis se plaint que le gouvernement n’aille pas assez loin. Se référant au licenciement de 15.000 fonctionnaires en 2012, il écrit que cela «semble être un très petit nombre». «À mon avis, ils auraient déjà dû licencier beaucoup plus de personnes et investir l’argent dans la réduction des impôts».
Dans une réponse égocentrique aux révélations qui ont fait de lui et de son parti la risée de tous, Kasselakis a déclaré lors d’une interview à la radio: «Je ne me souviens pas de ces articles. Je ne me souviens pas de qui j’étais à l’âge de 24 ans. J’étais un jeune qui travaillait dans un secteur très difficile [la finance], qui travaillait très dur. J’avais une relation avec une fille qui ne me plaisait pas, j’essayais de m’en sortir et d’aider mes parents. Le secteur financier était encore très toxique et agité à cette époque. J’étais un enfant de la communauté expatriée de l’époque qui était très en colère contre ce qui se passait en Grèce».
Le commentaire le plus révélateur fait par cet idéologue capitaliste multimillionnaire dans l’interview est que, bien qu’il ait été un partisan de Mitsotakis [du parti conservateur Nouvelle Démocratie, ND] à l’époque, il a «choisi d’aller avec [le leader de Syriza] Alexis Tsipras en raison de sa bonne gouvernance au cours de la période 2015-19».
En septembre 2015, avant les élections qui ont suivi la trahison par Syriza du rejet massif de l’austérité de la troïka lors d’un référendum en juillet précédent, Kasselakis, qui avait à un moment donné favorisé une coalition ND/Syriza, a conclu dans le National Herald que Syriza pouvait très bien gouverner seul, car Tsipras n’est «plus opposé à faire des virages à 180 degrés».
Avant de démissionner du gouvernement de Tsipras en juillet 2015 — sachant qu’il serait confronté à une énorme opposition de la classe ouvrière pour sa trahison — Yanis Varoufakis, alors ministre des Finances, a écrit que dans les négociations avec la troïka, Syriza ne proposait rien de plus que des politiques économiques «standard thatchériennes ou reaganiennes», notamment des réductions d’impôts et des privatisations.
La révélation des écrits antérieurs de Kasselakis a incité trois membres importants de Syriza — Nikos Filis, Panos Skourletis et Thodoris Dritsas — à prendre leurs distances avec lui. Kasselakis s’est rendu sur Facebook le 23 octobre pour déclarer: «MM. Vitsas, Skourletis et Filis, qui sont apparus à la télévision ces derniers jours pour s’opposer à leur propre parti, ont choisi de se placer en dehors de Syriza».
Selon certains rapports, une scission est probable dans les semaines à venir. Suite à leur expulsion de facto, la faction «Parapluie» du parti à laquelle appartiennent Vitsas, Skourletis et Filis a publié une déclaration exprimant son «inquiétude» face au «sentiment collectif que nous participons à un parti qui tend à n’avoir aucune relation avec la gauche dans aucun sens politique. Tout ce que nous savions sur le caractère et les priorités sociales de Syriza est en train de changer violemment et unilatéralement».
Quoi qu’il advienne, cette opposition à Kasselakis ne repose sur aucun principe. Elle est animée par la crainte qu’il n’accélère la descente du parti vers l’oubli. Vitsas, Skourletis et Filis ont tous occupé des postes ministériels de premier plan dans le gouvernement de Syriza à divers moments entre 2015 et 2019. Ils portent la responsabilité directe de l’austérité sans précédent imposée pendant cette période, en coalition avec les Grecs indépendants de droite et xénophobes, tout en réprimant férocement l’opposition de la classe ouvrière. Dans le même temps, avec l’installation du chef des Grecs indépendants partenaire de Syriza, Panos Kammenos, au poste de ministre de la Défense, les dépenses militaires ont été augmentées en termes réels, avec la signature d’un pacte de défense avec Israël et Chypre en 2016.
La position pro-israélienne de Kasselakis et ses diatribes anti-ouvrières dans le National Herald sont cohérentes avec le bilan actuel de Syriza au pouvoir. Son virage à droite de plus en plus prononcé est une confirmation éclatante du bilan dressé par le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), qui s’est opposé à tous les efforts de la pseudo-gauche internationale pour proclamer ce parti comme la voie à suivre pour la classe ouvrière.
Les écrits du CIQI sur Syriza et d’autres tendances de la pseudo-gauche constituent l’armement théorique nécessaire aux travailleurs pour mener à bien cette lutte. La leçon essentielle à tirer par les travailleurs et la jeunesse au niveau international est la nécessité de construire des sections du CIQI en Grèce et dans tous les pays.
(Article paru en anglais le 6 novembre 2023)