Les inondations dévastatrices de la région valencienne, qui ont coûté plus de 223 vies, dévasté des villes et villages entiers et détruit des dizaines de milliers de maisons, ont mis en évidence la faillite des bureaucraties des Commissions ouvrières liées à Sumar (CCOO) et des syndicats sociaux-démocrates de l'Union générale des travailleurs (UGT).
La colère populaire monte contre l'ensemble de l'establishment politique, du gouvernement régional de Valence dirigé par le Premier ministre régional du Partido Popular (PP) de droite, Carlos Mazón, au gouvernement national du Parti socialiste (PSOE)-Sumar et au Premier ministre espagnol Pedro Sánchez.
Samedi dernier, plus de 130 000 personnes ont participé à une marche aux cris de «Assassins, assassins», « Mazón, démissionne» et «Seul le peuple sauve le peuple». Sur des pancartes on pouvait lire «Mazón , ton peuple te répudie, ni oubli ni pardon», «Nous sommes souillés de boue, vous êtes souillés de sang» et «Ni Mazón, ni Madrid, ni les Bourbons [la monarchie]». Il s’agissait des plus grandes manifestations dans la région depuis celles de 2003 contre la guerre en Irak.
Les bureaucraties des CCOO et de l’UGT ne luttent pas contre Mazón et Sánchez, ni ne réclament de mesures pour lutter contre le changement climatique. Elles interviennent bien plutôt pour étouffer et démobiliser les travailleurs. Elles dissimulent la négligence criminelle de l'État capitaliste face aux inondations et dissimulent leur propre rôle dans ce que le WSWS qualifie à juste titre de meurtre social .
Le 29 octobre, jour où les inondations meurtrières frappaient la Communauté de Valence, CCOO et UGT rencontraient Mazón et la plateforme de la grande entreprise de Valence, la Confederación Empresarial de la Comunitat Valenciana, pour discuter du budget régional.
Durant les cinq jours précédant la réunion, l'Agence météorologique de l'État (AEMET) avait émis maintes fois des avertissements concernant une tempête potentiellement violente, prévoyant de fortes pluies dans la région de Valence. Quelques heures avant la rencontre des responsables syndicaux avec Mazón, l'AEMET avait émis une alerte rouge (le niveau le plus élevé) indiquant des risques de pluies extrêmes.
Malgré ces avertissements répétés et la vulnérabilité connue de la région aux inondations, surtout après les inondations de 2019 qui ont fait au moins six morts, les syndicats n'ont pas émis d'alerte publique, n'ont pas appelé à la fermeture des lieux de travail ni conseillé aux gens de rester chez eux. Ils ont continué comme si rien ne se passait.
De plus, Mazón a attaqué devant eux les mesures de fermeture de l'Université de Valence (UV) comme étant «exagérées». En effet, le comité d'urgence de l'UV, créé en 2019 précisément pour de telles tempêtes, avait envoyé la veille un avis à tous ses étudiants, annonçant la suspension des cours dû à l’annonce de fortes pluies. Cela touchait 50 000 étudiants, 3 000 personnels techniques, administratifs et de soutien et plus de 5 000 professeurs.
La fermeture de l’UV devrait être la réponse standard aux conditions de tempête meurtrières, mais elle a été l’exception. Les responsables syndicaux auraient pu convoquer les délégués syndicaux dans les usines et les lieux de travail de la région pour appliquer l’article 21.3 de la loi sur la prévention des risques professionnels. Celle-ci déclare que lorsque «l’employeur n’adopte pas ou ne permet pas l’adoption des mesures nécessaires pour garantir la sécurité et la santé des travailleurs, leurs représentants légaux peuvent, à la majorité, décider de suspendre l’activité des travailleurs concernés par ce risque».
Le nombre de travailleurs morts reste inconnu à ce jour. En raison de l'inaction criminelle des bureaucraties syndicales, des centaines de milliers de travailleurs ont été contraints de travailler malgré les inondations. Les géants de la distribution, dont Bershka, Massimo Dutti, Pull&Bear , Lefties, Zara et La Tagliatella , ont décidé de rester ouverts. Dans la zone industrielle d'El Oliveral à Ribaroja, plus de 1 000 travailleurs se sont retrouvés bloqués par la montée des eaux.
Les réseaux sociaux comme X et Instagram ont été remplis de vidéos de témoins appelant à l'aide, certains appelant les services d'urgence pour secourir leurs amis et leurs proches. La situation chez Ikea fit le tour du monde, les employés et certains clients ayant dû passer la nuit dans le magasin. Plus de 400 ouvriers de l'usine Ford d' Almussafes furent bloqués.
De nombreux chauffeurs routiers sont restés bloqués sur les routes: certains n'ont pas pu être secourus pendant plusieurs jours, d'autres sont décédés. Parmi les victimes connues figurent José Hernaiz, un chauffeur routier porté disparu à l'Alcúdia et retrouvé mort plus tard, et Bassem Zetión , dont le camion DHL a été soudainement submergé par les eaux et n’a toujours pas été retrouvé.
Après la catastrophe, alors que la colère populaire montait contre le manque de préparation et le rôle de Mazón dans la minimisation des alertes-tempête, les bureaucraties syndicales se sont jointes au reste de l'establishment politique pour dissimuler leur rôle dans ce meurtre social. Comme le gouvernement PSOE-Sumar, elles ont rejeté les appels à la démission de Mazón.
Ils ont publié une déclaration commune quatre jours plus tard, lorsque le Premier ministre Sánchez, le roi d'Espagne Felipe VI et la reine Letizia ont été bombardés de boue alors qu'ils visitaient Paiporta, l'une des villes les plus touchées de la région, tandis que les travailleurs scandaient «Dégagez!», «Pedro Sanchez, où es-tu?» et « Assassins! »
Les syndicats ont déclaré: «Sans préjudice des responsabilités correspondant à chaque niveau de gouvernement, la priorité à l’heure actuelle est d’unifier tous les efforts pour faire face à l’urgence.»
Alors que la colère montait et que des centaines de milliers de travailleurs et leurs familles s'organisaient pour les opérations de sauvetage et de nettoyage, les syndicats ont organisé vendredi dernier un lamentable arrêt de travail de 10 minutes dans tout le pays. Une action organisée conjointement avec la CEOE (Confédération espagnole des entreprises), les propriétaires mêmes des entreprises qui ont forcé leurs salariés à rester au travail pendant les inondations.
Le lendemain, samedi, ils ont refusé de soutenir une manifestation de masse qui a réuni plus de 130000 personnes à Valence. Ils ont de plus suspendu une grève prévue dans le secteur des transports routiers, affirmant que les services de transport ne pouvaient pas être stoppés pendant la période de reconstruction. Autrement dit, c’est bon d’arrêter les grèves après une catastrophe, mais pas d’arrêter le travail quand les travailleurs du transport et de la logistique se noient dans les inondations.
Si les grèves ont été suspendues, la classe dirigeante espagnole, elle, n’a pas cessé un seul instant sa guerre de classe contre les travailleurs, ni l’escalade de son offensive militaire contre la Russie en Ukraine. Elle n’a pas non plus hésité à utiliser les ports espagnols pour transporter des armes vers Israël pour le génocide de Gaza.
Les syndicats collaborent désormais avec le gouvernement PSOE-Podemos pour approuver des plans d’aide de plusieurs milliards d’euros pour la région. Si une mince partie de ces fonds seront alloués aux centaines de milliers de travailleurs et petites entreprises frappées par la catastrophe, les principaux bénéficiaires seront les grands trusts et les banques, les principaux responsables du changement climatique à l’origine des phénomènes météorologiques extrêmes comme ces inondations. Les mêmes qui ont insisté pour que les travailleurs restent au travail au milieu de la catastrophe.
Ils utiliseront sans aucun doute ces fonds pour spéculer encore plus sur l’immobilier dans la région, où des centaines de milliers de maisons ont été construites dans des zones inondables.
Les syndicats et la ministre du Travail et dirigeante du parti Sumar, Yolanda Díaz, ont également versé des millions d'euros aux trusts grâce aux Fichiers de régulation du travail temporaire (ERTE, largement utilisés pendant la pandémie de COVID-19). Les ERTE permettent aux entreprises de réduire les coûts de main-d'œuvre en suspendant les contrats ou en réduisant les heures de travail, le gouvernement subventionnant une partie des salaires des travailleurs, transférant ainsi la charge financière des grandes entreprises vers l'État.
Les événements de la semaine dernière soulignent la nécessité de créer des comités de la base dans chaque entreprise, afin de permettre aux travailleurs de prendre en main leur propre lutte, de briser l’emprise de la bureaucratie syndicale et de lancer une campagne sociale et politique pour unifier les luttes des travailleurs dans une offensive commune. Les appels à une grève générale pour renverser Mazón trouvent un grand écho désormais, alors que les syndicats et le gouvernement PSOE-Sumar refusent d’exiger sa démission.
La pseudo-gauche qui gravite autour de Podemos et de Sumar, exige cependant que les travailleurs se soumettent à ces mêmes bureaucraties. Le Courant révolutionnaire ouvrier (CRT) affirme qu'«il est essentiel de continuer à organiser la solidarité de classe et d'exiger que les bureaucraties syndicales rompent avec leur passivité criminelle et appellent à la grève».
L'Organisation communiste révolutionnaire (OCR, Organización Comunista Révolucionaria) a déclaré que les syndicats «doivent être contraints» d’appeler à la grève générale. La Gauche révolutionnaire (Izquierda Revolucionaria) a appelé les syndicats à «répondre avec toute la force et à exiger la suspension de toutes les activités de travail non essentielles».
En réalité, la solution consiste à mobiliser la base indépendamment des bureaucraties syndicales. La perspective d’«exiger» que ces bureaucraties agissent a été tentée à maintes reprises, et a échoué. En Espagne comme ailleurs, les bureaucraties servent de gendarme du travail. Leur rôle est d’empêcher les grèves, d’imposer des trahisons et de bloquer un mouvement indépendant de la classe ouvrière ; tout en permettant à la classe dirigeante de continuer à détourner des milliards d’euros des dépenses sociales, de la préparation aux catastrophes et des infrastructures résilientes au changement climatique, vers le renflouement des banques et la construction d’une économie de guerre.
Il faut que soit construit un mouvement socialiste dans la classe ouvrière, en Espagne comme dans le monde, pour retirer ces ressources des mains de l’oligarchie financière capitaliste, en faisant des trusts et des banques une propriété publique et en allouant les ressources en fonction des besoins de la société et non en fonction du profit privé.
(Article paru en anglais le 13 novembre 2024)