Postes Canada cherche à bloquer la contestation constitutionnelle de l’interdiction de grève et reçoit une aide gouvernementale d’un milliard de dollars

Travailleur de Postes Canada se rendant à son camion à Richmond, en Colombie-Britannique [AP Photo/Ted S. Warren]

Êtes-vous un travailleur des postes ou un employé du secteur de la livraison ou de la logistique ? Nous vous invitons à contacter le Comité de base des travailleurs des postes à l’adresse canadapostworkersrfc@gmail.com ou en remplissant le formulaire à la fin de cet article.

Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) a annoncé le 17 janvier que les négociations contractuelles avec Postes Canada avaient été rompues après seulement deux jours. Cette décision a été prise après que les dirigeants de la société d’État ont exigé de façon scandaleuse que le syndicat renonce à contester la constitutionnalité de l’ordonnance rendue le mois dernier par le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) décrétant illégale la grève d’un mois déclenchée par 55.000 travailleurs des postes.

Cette ordonnance du CCRI a été rendue à la demande du gouvernement libéral du Premier ministre Justin Trudeau et sur les instructions expresses du ministre du Travail Steve MacKinnon. Elle se fonde sur une interprétation manifestement illégale et nouvellement élaborée de l’Article 107 du Code canadien du travail, qui confère au gouvernement la capacité de mettre fin à toute grève dans les secteurs réglementés par le gouvernement fédéral, sans même passer par la feuille de vigne démocratique de l’adoption d’une législation antigrève par le Parlement.

Ces pouvoirs, qui sont présentés comme nécessaires afin de maintenir la «paix sociale», ont déjà été invoqués par le ministre du Travail quatre fois en six mois, privant du coup de leur droit de grève les travailleurs des compagnies aériennes, des chemins de fer, des ports et maintenant des postes.

L’utilisation répétée de l’Article 107 équivaut à une gouvernance par décret en faveur des grandes entreprises par un gouvernement libéral minoritaire jouissant du soutien des néo-démocrates et de l’appareil syndical tandis qu’il mène un régime d’austérité impitoyable au pays et d’objectifs de guerre ailleurs dans le monde.

La bureaucratie du STTP se conforme sans broncher à l’ordonnance de MacKinnon. Elle a piétiné les demandes croissantes de la base de défi et du maintien des piquets de grève en veillant au retour au travail de ses membres. La capitulation du STTP a donné l’initiative à l’employeur, qui fait maintenant pression pour une restructuration totale de Postes Canada afin de pouvoir concurrencer les entreprises de livraison à bas salaires comme Amazon et UPS.

Selon une mise à jour de la présidente du STTP Jan Simpson, « […] plutôt que de privilégier la conclusion de nouvelles conventions collectives, Postes Canada a tenté de limiter drastiquement nos droits juridiques dans le cadre de la contestation constitutionnelle du recours à l’article 107 par le ministre du Travail pour mettre fin à la grève. Postes Canada a clairement montré qu’elle accordait plus d’importance à ses minces intérêts juridiques plutôt qu’à ceux des travailleuses et travailleurs, qui ont besoin de bons emplois stables et d’un service postal public vigoureux».

Une demande de clarification des revendications de l’employeur adressée par le WSWS au STTP est restée sans réponse jusqu’à présent. Cependant, la déclaration de Simpson montre clairement l’arrogance et le flagrant manque de démocratie de la part de la direction de Postes Canada. Les dirigeants de Postes Canada ont passé plus d’un an, au cours de plus de 100 séances de négociation, à plaider le manque d’argent et à rejeter les justes revendications des travailleurs des postes, sachant pertinemment que le gouvernement Trudeau finirait par intervenir pour les aider à imposer encore plus de reculs en imposant une forme ou une autre d’interdiction de grève draconienne. Après avoir réussi à bloquer les négociations et à obtenir l’interdiction de grève du CCRI, Postes Canada a maintenant l’audace d’insister sur le fait que le syndicat ne devrait même pas avoir le droit de la contester légalement.

La tentative de la direction de Postes Canada de faire pression sur le STTP pour qu’il retire sa contestation constitutionnelle met en évidence la domination de l’oligarchie financière sur tous les aspects de la vie sociale et économique. Le WSWS a noté le réalignement violent de la politique à travers le monde pour correspondre au véritable état des relations de classe, qui trouve son expression la plus claire dans la volonté de Trump d’établir une dictature fasciste aux États-Unis. Dans des conditions d’inégalité sociale endémique et de contrôle toujours plus direct de l’oligarchie sur l’État et le gouvernement, les droits fondamentaux des travailleurs, y compris les droits de grève et de négociation collective, ne valent plus rien aux yeux de l’élite dirigeante capitaliste.

La décision de MacKinnon de priver les postiers du droit de grève, qu’il déclare n’être qu’un «temps mort», prolonge unilatéralement les anciennes conventions des postiers urbains et ruraux jusqu’au mois de mai. Elle a également entrainé la création d’une commission d’enquête industrielle, dirigée par l’arbitre fédéral chevronné William Kaplan, qui a commencé ses auditions lundi.

La commission Kaplan, qui s’est vu confier un vaste mandat pour examiner l’ensemble des activités de Postes Canada, est une affaire entièrement mise en scène dont le but est d’approuver l’«amazonisation» des conditions de travail de la main-d’œuvre et la destruction des pensions et autres droits des travailleurs, tout cela au nom d’un «retour à la rentabilité». Pour ce faire, il est prévu d’accroître le recours à des travailleurs temporaires et à temps partiel faiblement rémunérés afin de réduire considérablement les coûts en main-d’œuvre, d’étendre la livraison les fins de semaine afin de concurrencer les transporteurs de colis, ainsi que de déployer l’intelligence artificielle (IA) et d’autres technologies afin de réduire le nombre de travailleurs et d’augmenter leur charge de travail.

L’annonce en fin de semaine que Postes Canada a obtenu un prêt d’un milliard de dollars du gouvernement Trudeau est un élément clé de ce programme de restructuration mené aux dépens des travailleurs des postes. Présenté comme nécessaire pour maintenir les opérations cette année alors que les postes sont confrontées à des «défis financiers importants», le véritable objectif du prêt est de satisfaire les investisseurs financiers pendant que d’autres attaques sauvages seront menées contre les employés afin d’augmenter la rentabilité. Avec une obligation de 500 millions de dollars émise en 2010 pour maintenir les opérations de la Société des postes devant arriver à échéance cet été, l’employeur affirme que sans un renflouement du gouvernement, il n’aura pas les liquidités nécessaires pour payer les détenteurs d’obligations.

Tout au long des pourparlers avec le STTP, l’employeur a souligné à plusieurs reprises les pertes de plus de 3 milliards de dollars enregistrées depuis 2018, en raison de la diminution des volumes de courrier au profit de celui des colis. Ces pertes sont invoquées afin de justifier un assaut généralisé contre les salaires, les emplois et les conditions de travail dans le but de renouer avec la rentabilité.

Bien que Postes Canada soit une société d’État supervisée par le gouvernement fédéral, elle n’est pas financée par l’État. Le service postal est géré comme une entreprise à but lucratif devant gagner de l’argent grâce à la vente de timbres et autres produits et services. Le prix des timbres ayant été augmenté de 25% ce mois-ci, cela devrait permettre de dégager 80 millions de dollars en recettes annuelles, ajoutant néanmoins une charge supplémentaire pour les expéditeurs de courrier. Toutefois, tant l’employeur que Bay Street considèrent cette mesure comme une simple goutte d’eau dans leur quête de restructuration.

Des discussions sont déjà en cours sur la meilleure façon de cannibaliser Postes Canada et de confier ses activités les plus rentables à des sociétés privées. Ian Lee, professeur de gestion des affaires à l’université Carleton et lui-même ancien cadre de Postes Canada, a exposé au début du mois sur les ondes de CBC News un scénario dans lequel les opérations postales urbaines seraient confiées à des services de courrier à but lucratif, les routes de livraison à domicile supprimées au profit de boîtes postales situées à l’intérieur de franchises dans les épiceries et les pharmacies, et Postes Canada serait réduite à une opération croupion, subventionnée par les contribuables et axée sur les livraisons dans les régions rurales et éloignées.

«Il y a un avenir. Ce sera une organisation très différente, beaucoup plus petite, déclarait Lee à CBC News. Elle sera restructurée. La seule question est de savoir quand et dans quelle mesure, et quelle sera la proposition offerte lors de la restructuration.»

La vision qu’a Lee pour Postes Canada implique le licenciement de milliers de travailleurs et la transformation du statut des emplois restants en temps partiel et temporaires faiblement rémunérés.

Opposé à cette vision présentée par Lee et la direction de Postes Canada, et opposé à l’acceptation par l’appareil du STTP d’une commission d’enquête industrielle favorisant l’employeur, le Comité de base des travailleurs des postes (CBTP) insiste sur le fait que le moyen de subsistance des travailleurs des postes et les services publics ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel du profit capitaliste.

Les travailleurs de la base doivent prendre le contrôle de leur lutte et l’arracher des mains de l’appareil syndical bureaucratique, en plus de sortir du carcan de la négociation collective que l’employeur et le STTP utilisent pour imposer aux travailleurs des séries de concessions les unes après les autres depuis des décennies.

Le CBTP insiste sur le fait que les travailleurs doivent se battre pour un programme basé sur ce dont ils ont besoin, et non sur ce que la direction juge abordable. Les vastes changements technologiques, y compris l’introduction de l’IA pour déterminer les itinéraires des postiers, sont entre les mains de l’employeur. Ce dernier s’en sert pour réduire les conditions de travail des travailleurs de postes et augmenter leur charge de travail afin de faire plus d’argent pour les investisseurs. Sous le contrôle des travailleurs, ces mêmes technologies peuvent être utilisées pour réduire leur charge de travail sans perte de salaire et protéger tous les emplois. Mais cela est impossible en restant sous la direction du STTP, qui n’est pas moins attaché que la direction de l’entreprise à l’idée que le service postal doit faire des profits.

Les problèmes auxquels font face les postiers sont communs à de vastes pans de la classe ouvrière. C’est pourquoi les perspectives de développement de leur lutte en tant que combat politique tous azimuts contre l’austérité capitaliste et les attaques menées contre les droits des travailleurs sont extrêmement favorables. Avant la grève de novembre, le CBTP a publié un programme demandant des augmentations salariales de 30% pour compenser les années de stagnation salariale, que les travailleurs puissent contrôler l’introduction des nouvelles technologies, ainsi que la défense de tous les emplois. Le programme insiste également sur le fait que la défense de Postes Canada en tant que service public doit être liée à la protection de tous les services publics contre les réductions de coûts et les privatisations menées par l’élite dirigeante.

Pour défendre ces revendications, les travailleurs doivent s’affranchir du système de «négociation collective» qui favorise les entreprises et faire de la lutte à Postes Canada le fer de lance d’une contre-offensive de la classe ouvrière pour réclamer des services publics financés à part entière et défendre les droits des travailleurs, ainsi que s’opposer à l’austérité et à la guerre. Dans des conditions où un assaut majeur est mené partout contre les droits des travailleurs et leurs conditions de travail dans tous les secteurs d’activités, un appel retentissant des travailleurs des postes pour la construction d’un mouvement social et politique de masse de la classe ouvrière, tant au Canada qu’à l’échelle internationale, rencontrera une réponse puissante et enthousiaste.

(Article paru en anglais le 28 janvier 2025)

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