Espagne : les partis pseudo de gauche Sumar et Podemos soutiennent le réarmement

La coalition au pouvoir en Espagne, composée du Parti socialiste (PSOE) et du parti de la pseudo-gauche Sumar, a salué avec enthousiasme le plan de réarmement militaire de 800 milliards d'euros de l'Union européenne.

Jeudi dernier, lors du Conseil extraordinaire de la Commission européenne à Bruxelles, le gouvernement espagnol s'est engagé à accélérer ses dépenses miltaires officielles pour atteindre l'objectif de 2 pour cent du PIB, fixé par l'OTAN avant 2029.

Des soldats espagnols affectés au groupement tactique de présence avancée renforcée de l'OTAN en Lettonie tirent avec une mitrailleuse légère lors d'un entraînement aux armes au camp Ādaži, en Lettonie, le 18 février 2022. [Photo by NATO / Flickr / CC BY-NC-ND 2.0]

Interrogé à ce sujet lors d'une conférence de presse, le Premier ministre Pedro Sánchez du PSOE a répondu: «La réponse est oui, et la semaine prochaine j'informerai tous les groupes parlementaires lorsque je les rencontrerai.»

Il a ajouté: «Il est clair que nous devons tous faire un effort anticipé sans attendre 2029.» Justifiant le réarmement militaire de l'Europe à une échelle jamais vue depuis les années 1930, Sánchez a déclaré: «Tous les Européens [doivent] faire un effort pour investir davantage et, surtout, investir mieux, avec une évaluation partagée des besoins de sécurité de l'Europe, il est clair que nous devons agir.»

Le contexte évoqué par Sánchez est celui de l'escalade des tensions géopolitiques entre les puissances européennes et les États-Unis. Washington manœuvre pour s’assurer l’accès aux terres rares et autres ressources stratégiques de l'Ukraine en négociant un accord avec le président Vladimir Poutine. Un accord qui, selon Moscou, pourrait également donner aux États-Unis accès à des ressources russes bien supérieures à celles de l'Ukraine.

Pour les puissances européennes, une défaite ukrainienne représenterait un sérieux revers, consolidant à leurs dépens la domination américaine sur des gisements minerais vitaux.

Les puissances européennes s’inquiètent encore plus de la possibilité d’une alliance entre les États-Unis et la Russie, qu’elles perçoivent comme une menace existentielle. Elles sont conscientes que le président Donald Trump ne souhaite pas seulement dissocier la Russie de la Chine, mais aussi monter la Russie contre l’Union européenne, qu’il considère non pas comme un allié, mais comme un concurrent. Cette crainte sous-jacente pousse le Royaume-Uni, la France et d’autres États européens à envisager le déploiement de troupes en Ukraine, augmentant ainsi le risque d’une confrontation militaire directe avec la Russie.

Sumar, partenaire minoritaire du PSOE dans la coalition gouvernementale, connu pour critiquer modérément les décisions du gouvernement, qu'il ne juge pas assez «à gauche», tout en continuant d’affirmer sa loyauté indéfectible envers lui, a cette fois-ci soutenu avec enthousiasme la position de Sánchez.

Après l'affrontement explosif à la Maison Blanche entre Trump et le président ukrainien Volodymyr Zelensky il y a deux semaines, Sumar a déclaré que cet incident devait «servir de signal d'alarme pour l'Europe» et que «face au monde de Trump et Poutine, l'Europe doit de toute urgence construire son indépendance et sa sécurité». Il a également dénoncé «les ambitions impérialistes de l'administration Trump».

Sumar soutient les préparatifs de l'Espagne pour que celle-ci participe au retour de l'Europe à une imposition des intérêts impérialistes par la force des armes, même si cela implique un conflit non seulement avec la Russie, mais aussi avec l'impérialisme américain.

En 1898, l'Espagne a perdu, durant la guerre hispano-américaine, ses dernières colonies dont Cuba, Porto Rico, les Philippines et Guam. Pendant la Seconde Guerre mondiale, bien que l'Espagne de Franco ne soit pas entrée en guerre aux côtés de l'Allemagne nazie et soit restée officiellement neutre, elle a fourni des matériaux essentiels à l'industrie d'armement allemande, comme le tungstène.

Franco a également envoyé une division d'infanterie de 45 000 volontaires fascistes pour soutenir la guerre d'extermination lancée par l'Allemagne nazie contre l'Union soviétique, alors alliée des États-Unis contre l'impérialisme allemand.

Après la défaite de l'Allemagne nazie, Franco se tourna vers Washington. En 1953, l'Espagne signa les Accords de Madrid avec les États-Unis, qui autorisaient l'installation de quatre bases militaires américaines en échange d'une aide économique et militaire et d'une réhabilitation internationale de facto après des années d'isolement suite à la Seconde Guerre mondiale. L'Espagne fut intégrée au système militaire occidental visant l'Union soviétique sans pour autant devenir membre de l'OTAN.

Après la mort de Franco en 1975, l'Espagne a cherché à équilibrer son intégration dans l'Union européenne, dominée par la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni, et à s'aligner sur l'alliance de l'OTAN dirigée par les États-Unis.

La tentative de Sumar de présenter la militarisation de l’Espagne et de l’Europe comme un acte anti-impérialiste ignore le soutien apporté par Madrid aux guerres menées par les États-Unis ces dernières décennies. Depuis 1990, l’Espagne a participé aux deux guerres contre l’Irak (1991 et 2003), au démembrement de la Yougoslavie dans les années 1990, aux guerres d’Afghanistan (2001) et de Libye (2011). L’Espagne a également armé l’Ukraine contre la Russie et Israël dans son génocide des Palestiniens.

Sumar soutient l’augmentation extraordinaire de dépenses militaires qui seront inévitablement payées par la classe ouvrière, tout en affirmant qu’il ne préconise rien d’autre qu’une plus grande efficacité.

«Il ne s’agit pas tant d’augmenter les dépenses militaires que de les rendre plus efficaces», a déclaré Verónica Barbero, porte-parole parlementaire de Sumar. La priorité était de «réfléchir au rôle que l’Europe devrait jouer dans ce domaine», a-t-elle ajouté, concluant son intervention en affirmant cyniquement que Sumar «ne soutiendra jamais le militarisme».

Sumar suit la voie tracée par Podemos, dont il s'est séparé en 2023. Entre 2020 et 2023, avec le gouvernement PSOE-Podemos, le budget du ministère de la Défense est passé de 1 pour cent du PIB (10,2 milliards d'euros) à 1,3 pour cent (19,7 milliards d'euros). Rien qu'en 2023, 7,7 milliards d'euros ont été consacrés à l'achat et au développement d'armes, soit une augmentation de 69 pour cent par rapport à 2022. À cette date, 30 pour cent du budget total d'investissement du gouvernement était déjà consacré à l'armement.

Le gouvernement prévoit d'augmenter les dépenses militaires à 1,32 pour cent du PIB cette année et à 2 pour cent d'ici 2029, ce qui signifie, selon le syndicat des techniciens du Trésor Geshta, 95,5 milliards d'euros dépensés en armement et en défense sur quatre ans. Pour respecter ces engagements, l'Espagne devrait augmenter le budget de la défense de 3,5 milliards d'euros cette année, ce qui maintiendrait les dépenses annuelles à 23,9 milliards d'euros jusqu'en 2028.

Des groupes pacifistes comme le Centre Delás et Colectivo Tortuga, qui surveillent les dépenses militaires de l'Espagne depuis plus d'une décennie, accusent depuis longtemps Madrid d'avoir déjà dépassé le seuil de 2 pour cent en prenant en compte les allocations militaires des autres ministères – puisque le gouvernement ne comptabilise que le budget du ministère de la Défense – ainsi que les dépassements de coûts et les dépenses hors budget. Colectivo Tortuga estime que les dépenses militaires réelles de l'Espagne pour 2024 s'élèvent à 60 milliards d'euros, soit plus de 5 pour cent du PIB, un niveau qui répondrait déjà à l'objectif exigé par Trump pour les pays de l'OTAN.

Podemos, qui se présente comme l’opposition officielle « de gauche » au Parlement, se pose aujourd’hui en critique du militarisme. L’ancienne ministre de l’Égalité et députée européenne Irene Montero a déclaré que le plan de réarmement de l’UE était «un chemin de sang et de souffrance pour les peuples d’Europe».

La secrétaire générale de Podemos, Ione Belarra, a écrit sur X: «Sánchez dit qu’il s’oppose à Trump, mais il cire ses bottes et accélère l’augmentation des dépenses militaires demandée par Trump pour atteindre 2 pour cent du PIB plus tôt. Ce gouvernement creuse sa propre tombe. Chaque euro dépensé en armement est une coupe dans notre système de santé et notre éducation. Ce n’est pas la bonne voie.»

Podemos ne s’est jamais opposé aux dépenses militaires ni au militarisme. En 2022, alors qu’elle était au gouvernement, la ministre Belarra avait justifié le soutien de Podemos au budget de cette année-là, qui prévoyait des dépenses militaires record, en affirmant que, bien que Podemos fût «fermement opposé à toute augmentation des dépenses militaires», il ne constituait pas «la majorité au gouvernement». Il était difficile de transformer «de l’entêtement » en «réalité», a-t-elle ajouté.

En 2015, Podemos a recruté et propulsé à sa tête Julio Rodríguez, un officier supérieur de l’armée espagnole qui avait organisé la participation de l’Espagne à l’offensive impérialiste contre la Libye. En rejoignant Podemos, Rodríguez a clairement indiqué: «L’OTAN est nécessaire et Podemos respectera ses engagements.»

Ces engagements comprenaient l’augmentation des dépenses militaires, que Podemos avait pleinement soutenue lors de son entrée au gouvernement, ainsi qu’un soutien inconditionnel à toutes les entreprises impérialistes et aux livraisons d’armes à l’Ukraine.

En mars 2022, Podemos a soutenu une résolution au Parlement européen affirmant que « l’Otan est le fondement de la défense collective des États membres de l’OTAN». Quelques jours plus tard, il a voté en faveur d’une autre résolution déclarant que «les livraisons d’armes doivent se poursuivre et s’intensifier pour que l’Ukraine puisse se défendre efficacement».

Pablo Iglesias, fondateur et leader de Podemos, déplore aujourd’hui dans les pages de son journal en ligne Diario Red que l’impérialisme européen soit à la traîne par rapport aux États-Unis et qu’il soit exclu du pillage de la Russie et de l’Ukraine. En n’ayant pas jusqu’à présent donné la priorité à l’autonomie stratégique face aux États-Unis, Washington avait pris le dessus: «Nous devons maintenant acheter du gaz aux États-Unis et payer la facture de la guerre en Ukraine, tandis que les États-Unis prendront le contrôle des terres rares et transformeront l’Ukraine en colonie.»

Le programme de réarmement de l’UE, défendu par toutes les factions de la classe dirigeante espagnole, a une fois de plus mis en évidence le caractère pro-impérialiste et anti-ouvrier de Sumar et Podemos. Ces groupes de la pseudo-gauche représentent une couche privilégiée de la classe moyenne supérieure qui constitue une base sociale de soutien à la guerre impérialiste. Pour arrêter une escalade militaire catastrophique, il faut mobiliser la classe ouvrière contre Sumar et Podemos et contre d’autres partis similaires de la pseudo-gauche dans toute l’Europe.

(Article paru en anglais le 11 mars 2025)