Les 55 000 travailleurs de Postes Canada déclenchent la grève à l’annonce du démantèlement du service public de la poste par le gouvernement libéral

Des postiers manifestent devant le centre de tri Albert Jackson, dans l'est de Toronto, lors de la grève de l'automne dernier.

Plus de 55 000 employés de Postes Canada ont déclenché la grève jeudi en réponse à la volonté du gouvernement libéral fédéral de supprimer pratiquement tout le service public de distribution du courrier. Le déclencheur de la grève a été l'annonce par Joël Lightbound, ministre de la Transformation, des Travaux publics et de l'Approvisionnement, d'un « plan de transformation » sans précédent. Ce plan prévoit que la société d'État fédérale réduise considérablement ses services et supprime des dizaines de milliers d'emplois à temps plein au cours des prochaines années.

Les facteurs et les employés des centres de tri de la région atlantique du Canada ont spontanément débrayé immédiatement après la conférence de presse du ministre jeudi après-midi. La nouvelle de leur action de défi s'est rapidement répandue via les réseaux sociaux. Selon les informations reçues par le World Socialist Web Site de la part de travailleurs de la base, des travailleurs se sont également mis en grève au Manitoba avant que le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) ne se sente obligé de déclencher une grève nationale en début de soirée, dans le but de se placer à la tête du mouvement afin de mieux le contrôler et l’étouffer politiquement.

Pour la deuxième fois en moins d'un an, les postiers se retrouvent engagés dans une lutte sociale et politique qui les oppose à la direction de Postes Canada, au gouvernement libéral et à l'ensemble des entreprises canadiennes. La classe dirigeante tout entière souhaite voir Postes Canada « restructurée » afin de montrer l'exemple pour la destruction de tous les services publics à travers le pays afin de financer le réarmement militaire, la guerre mondiale et l'enrichissement de l'oligarchie financière canadienne.

Les postiers peuvent vaincre ce programme de guerre de classe en appelant tous les travailleurs à se joindre à leur lutte, car les enjeux pour lesquels ils se battent sont d'une importance capitale pour tous les travailleurs. Il s'agit notamment de la défense des services publics et du droit de grève, de la protection contre les emplois précaires à la Amazon, et de la nécessité d'établir le contrôle des travailleurs sur l'utilisation de l'IA et d'autres nouvelles technologies, afin qu'elles soient utilisées pour alléger la charge de travail sans perte de salaire, et non pour accroître l'exploitation des travailleurs et les profits des entreprises.

Le gouvernement de l'ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, qui a pris la tête du gouvernement au début de l'année, a profité de la crise de Postes Canada pour déclarer la guerre aux travailleurs de la poste et à la classe ouvrière dans son ensemble.

Avec le soutien sans faille des médias bourgeois, le gouvernement libéral de Carney s'apprête à mettre en œuvre un programme déclaré d'« austérité et d'investissement ». Les services publics vont être réduits, à commencer par une coupe de 15 % dans les dépenses discrétionnaires fédérales au cours des trois prochaines années, et des centaines de milliards seront détournés vers l'expansion de l'armée et l'octroi de subventions et de réductions d'impôts aux grandes entreprises et aux riches.

Les postiers n'ont récupéré leur droit de grève qu'en mai, après avoir été privés de ce droit pendant cinq mois par un ordre de retour au travail draconien émis par le ministre du Travail du premier ministre Justin Trudeau, Steven MacKinnon, en décembre dernier, après une grève d'un mois.

Cependant, le STTP a refusé de mobiliser les postiers et de faire appel à l'ensemble de la classe ouvrière pour qu'elle soutienne la défense des services publics. Au lieu de cela, il a maintenu ses membres sous étroite surveillance, les confinant à une interdiction des heures supplémentaires, qui a ensuite été remplacée par une interdiction de distribuer des prospectus publicitaires non adressés.

Bien que le syndicat n'ait offert aucune perspective pour poursuivre la lutte, lorsque le gouvernement libéral est intervenu une nouvelle fois contre les postiers, les obligeant à voter en juillet sur les reculs proposés par Postes Canada, 70 % des travailleurs, tant urbains que ruraux, ont voté « non ».

S'exprimant jeudi à Ottawa, Lightbound a présenté son plan comme une opération de sauvetage visant à « sauver » un service postal national qui, selon lui, était confronté à une « crise existentielle ». Il a souligné les milliards de dollars de pertes accumulées, la forte baisse du volume du courrier postal et la récente perte trimestrielle de 407 millions de dollars.

Le ministre a dévoilé des mesures tirées presque entièrement de la Commission d'enquête sur les relations de travail (CERT) truquée que le gouvernement a mise en place en décembre dernier, en même temps qu'il privait les postiers de leur droit légal de grève.

Déclarant la poste « effectivement insolvable », il a ordonné à Postes Canada de mettre en œuvre d’immenses coupes. Celles-ci comprennent l’élimination de la distribution à domicile pour les 4 millions de foyers qui en bénéficient encore et leur conversion à des « boîtes aux lettres communautaires » ; la levée du moratoire sur la fermeture des bureaux de poste ruraux et suburbains ; et l'ajustement des normes de distribution du courrier afin que le courrier non urgent puisse être acheminé par camion plutôt que par avion. Dans le cadre du plan du gouvernement – Lightbound a donné 45 jours à la direction de Postes Canada pour traduire ce plan en mesures concrètes – la distribution du courrier passera de cinq à trois jours par semaine, les augmentations du tarif postal seront accélérées et la direction aura le pouvoir d'embaucher du personnel à temps partiel le week-end.

Aussi radicales soient-elles, ces mesures ne constituent que la première étape d'un plan de restructuration beaucoup plus vaste visant à réduire les effectifs totaux des deux tiers ou plus et à céder les marchés les plus rentables à des prestataires privés, laissant à Postes Canada le soin de desservir les régions rurales et éloignées avec un personnel réduit au strict minimum composé de travailleurs occasionnels. Ces plans doivent être précisés par un nouveau comité que le gouvernement est en train de former pour examiner le mandat de Postes Canada.

Ian Lee, ancien cadre de Postes Canada et aujourd'hui professeur de commerce très cité à l'université Carleton, a déclaré qu'il était nécessaire de vendre les activités urbaines rentables de la poste et de réduire Postes Canada à un service minimal dans les zones rurales, ce qui signifie la suppression de 40 000 emplois.

Ce que Lightbound a présenté comme une nécessité fiscale est en fait une attaque préméditée contre le service postal public. Le plan qu'il a invoqué découle directement de l'opération anti-grève menée par le gouvernement Trudeau en décembre dernier. Invoquant une « réinterprétation » nouvellement concoctée et manifestement illégale de l'article 107 du Code canadien du travail, les libéraux ont déclaré illégale la grève postale sans même le semblant d'un soutien parlementaire, ont prolongé unilatéralement les conventions collectives expirées des postiers et ont imposé une interdiction de cinq mois sur les grèves.

Dans le même temps, ils ont créé la CERT en vertu de l'article 108 du Code du travail et l'ont chargée de proposer des mesures de restructuration. Présidée par William Kaplan, médiateur et arbitre fédéral de confiance, la commission a été habilitée à recommander des changements dans toutes les activités de Postes Canada, ses conventions collectives et même le processus de négociation. En d'autres termes, le gouvernement a bafoué le droit de grève des postiers tout en mettant en place une commission triée sur le volet pour approuver sans discussion ses plans visant à supprimer leurs emplois et leurs avantages sociaux.

Alors que la base a clairement exprimé sa détermination à lutter contre ces attaques, notamment en défiant l'intervention du gouvernement, la direction et la bureaucratie du STTP partagent un objectif commun : rétablir la rentabilité de Postes Canada aux dépens des travailleurs. La direction du syndicat a soutenu l'extension des livraisons de nuit et le week-end et a proposé des projets non postaux, tels que des chargeurs de véhicules électriques et des visites de contrôle auprès des personnes âgées, afin d'augmenter les revenus. Toutes ces propositions laissent intacte l'idée que la poste doit être gérée comme une entreprise à but lucratif.

La direction du STTP s'oppose aux travailleurs postaux dans leur lutte, se posant en ennemi qui se range du côté de la direction et du gouvernement. Ce fait a été résumé dans les commentaires du négociateur du STTP, Jim Gallant, qui a déclaré jeudi aux journalistes que les actions des travailleurs étaient « spontanées », c'est-à-dire qu'elles n'étaient pas sous le contrôle de la bureaucratie, et a déclaré : « Nous ne voulons pas être dans cette situation. »

Les agents de bord d'Air Canada en grève font du piquetage à l'aéroport international Pierre-Elliott Trudeau de Montréal

De tels commentaires révèlent la crainte des bureaucrates qu'un mouvement militant puisse se développer hors de leur contrôle. Cette crainte est fondée, compte tenu de l'intensification spectaculaire de la lutte des classes au Canada et à l'échelle internationale au cours de l'année écoulée. Le gouvernement libéral est intervenu à plusieurs reprises avec des interdictions de grève antidémocratiques, notamment contre les débardeurs, les cheminots et, plus récemment, 10 500 agents de bord d'Air Canada. Mais contrairement aux occasions précédentes, où la bureaucratie syndicale avait réussi à contraindre les travailleurs à reprendre le travail face aux ordres antigrève du gouvernement, les agents de bord ont courageusement défié le gouvernement.

Cependant, leur position militante – dépourvue d'une direction organisée luttant pour élargir la lutte et en retirer le contrôle à la bureaucratie – ne s'est pas avérée suffisante pour empêcher le Syndicat canadien de la fonction publique de les poignarder dans le dos. Il a conclu un accord tard dans la nuit avec l'aide d'un médiateur nommé par le gouvernement – le même William Kaplan qui a rédigé le rapport de la CERT sur Postes Canada – afin de saboter la grève et de donner à l'entreprise ce qu'elle voulait. Cela comprenait le refus du droit des agents de bord de voter sur la plupart des éléments de l'accord de capitulation et l'imposition d'un arbitrage lorsqu'ils ont rejeté à plus de 99 % l'accord salarial proposé.

La reprise de la lutte par les postiers a donc une signification qui dépasse largement le conflit immédiat. La manière dont la grève a éclaté, à l'instar de la position des travailleurs d'Air Canada, montre que l'emprise étouffante exercée depuis des décennies par la bureaucratie syndicale sur les luttes des travailleurs est en train de s'effriter, et souligne qu'il existe des conditions extrêmement favorables pour que les postiers obtiennent une réponse puissante de la part d'autres secteurs de travailleurs s'ils se battent pour élargir leur lutte.

Pour ce faire, les grévistes doivent immédiatement mettre en place des comités de grève de la base afin de prendre la direction de la lutte et de faire valoir leurs revendications en fonction des besoins des travailleurs, et non de ce que la direction et les ministres du gouvernement jugent « abordable ». Ces comités doivent lutter contre le partenariat corporatiste entre la bureaucratie syndicale, la direction des entreprises et le gouvernement, en rejetant le nationalisme canadien réactionnaire sur lequel il repose et en appelant au soutien des postiers américains et d'ailleurs.

Le STTP, le SCFP et la bureaucratie syndicale dans son ensemble agissent comme des divisions de l'État : ils agissent comme des gendarmes sur la main-d'œuvre, collaborent avec la direction et bloquent toute remise en cause du système de profit. Les dirigeants syndicaux dissimulent leur rôle indispensable dans l'imposition des intérêts de l'élite dirigeante aux travailleurs en invoquant faussement une « Équipe Canada » qui unirait prétendument les travailleurs et les patrons contre Trump, alors qu'en réalité, l'« équipe » dont ils font partie est celle qui est achetée, payée et appuyée par l'oligarchie financière.

Pour s'opposer à cette coalition contre les travailleurs, il faut établir une alliance étroite entre les postiers et d'autres secteurs de la classe ouvrière aux États-Unis, en Europe et dans le monde entier. Partout, les travailleurs sont confrontés aux mêmes dangers, notamment la suppression d'emplois et la baisse des salaires, la destruction des services publics et l’élimination de leur droit de grève et d'autres droits démocratiques fondamentaux au nom du financement des guerres et dans le but d'imposer les intérêts de l'oligarchie capitaliste par la dictature. Aux États-Unis, le dictateur en puissance Trump veut privatiser le service postal américain, tandis qu'en Grande-Bretagne, les droits des travailleurs de Royal Mail font l'objet d'attaques systématiques.

Le Comité de base des travailleurs des postes (CBTP) a été créé en juin 2024 pour mener cette lutte parmi les travailleurs postaux. Il rejette l'argument selon lequel Postes Canada doit être gérée comme une entreprise à but lucratif. Il exige que les décisions concernant les opérations, les nouvelles technologies et les conditions de travail soient prises par les postiers qui font le travail. Le programme du comité prévoit une augmentation immédiate de 30 % des salaires afin de renverser des décennies de reculs, des pensions et des avantages sociaux complets pour tous les employés, et la fin des échelles salariales à deux vitesses et de la sous-traitance. Il exige que l'automatisation et l'intelligence artificielle soient utilisées pour réduire la charge de travail et améliorer le service, et non pour intensifier l'exploitation, et pour que Postes Canada soit financée comme un service public plutôt que traitée comme une vache à lait pour les détenteurs d'obligations.

Affilié à l'Alliance ouvrière internationale des comités de base, le CBTP appelle les travailleurs de la logistique et du secteur public à travers le Canada et à l'échelle internationale à se joindre à une lutte commune contre l'austérité et la guerre. En créant des comités de base indépendants et en unissant les luttes des travailleurs au-delà des frontières, les postiers peuvent vaincre l'assaut du gouvernement libéral et jeter les bases d'une contre-offensive plus large de la classe ouvrière.

Ce n'est que grâce à un tel mouvement que les travailleurs pourront défendre les services publics et obtenir des emplois décents ; la bataille autour de Postes Canada déterminera si les services essentiels resteront publics et accessibles ou s'ils seront sacrifiés au profit des entreprises.

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