Malgré la menace de dictature, Révolution Permanente défend l’État capitaliste français

La démission du Premier ministre Sébastien Lecornu, après seulement quelques semaines à la tête du gouvernement, a confirmé la crise du régime bourgeois en France. Mais cette crise du macronisme et de la Ve République ne donne pas seulement lieu à des manœuvres parlementaires visant à consolider l’État policier français. Elle met aussi en lumière l’impasse d’une pseudo-gauche qui continue de chercher, dans les institutions, une issue à la crise du capitalisme.

Les morénistes de Révolution Permanente (RP) illustrent parfaitement cette orientation. Dans un article publié début octobre 2024 intitulé « Lecornu démissionne : il faut une réponse ouvrière pour dégager Macron et imposer une Assemblée unique », RP constate à juste titre la fragilité extrême du régime et la colère sociale issue des mobilisations de 2023 contre la réforme des retraites. Mais son mot d’ordre central—«imposer une Assemblée unique»—n’a rien d’une perspective révolutionnaire.

RP remplace la lutte internationale de la classe ouvrière pour le pouvoir et le socialisme par une perspective de refondation nationale de l’État capitaliste, qui laisserait intactes les bases matérielles de la domination bourgeoise: la propriété privée des grands moyens de production et l’appareil d’État répressif qui la protège. Pour RP, la crise de régime devrait permettre au «monde du travail et à la jeunesse» de pousser Macron vers la sortie et de refonder les institutions existantes sur des bases plus démocratiques:

«L’agonie du macronisme peut aussi être exploitée par le mouvement des masses. Pour cela, il faut dégager Macron mais aussi la Ve République, en luttant non pas pour pouvoir élire un nouveau monarque, mais pour imposer une Assemblée unique, dont les députés soient élus pour deux ans, révocables et payés comme des infirmières .»

Ce programme, sous des allures radicales, reste prisonnier de l’idée qu’un Parlement «purifié » pourrait gouverner au nom des travailleurs. En réalité, une telle réforme ne changerait rien à la nature de classe de l’État. Or, la crise actuelle du capitalisme pousse la bourgeoisie non pas vers plus de démocratie, mais vers la destruction des normes démocratiques, la militarisation et la guerre, à l’extérieur comme à l’intérieur.

Pour mener ces politiques, la classe dirigeante française, comme ses homologues européennes et américaines, prépare une dictature visant à écraser toute opposition ouvrière à l’austérité et au génocide en cours à Gaza.

La prétendue «Assemblée unique» ne serait, dans ce contexte, qu’un nouvel instrument au service du capital, une variante parlementaire de l’autoritarisme existant. Le texte de RP parle d’une «réponse du monde du travail et de la jeunesse», mais ne propose aucune rupture concrète avec les appareils politiques et syndicaux qui les encadrent. Aucune critique sérieuse n’est adressée à la CGT, à LFI ou au Nouveau Front Populaire (NFP)–organisations qui, depuis 2023, ont joué un rôle décisif dans la démobilisation des grèves et manifestations.

Cette absence de démarcation révèle la véritable orientation de RP: non pas construire une mobilisation indépendante et révolutionnaire de la classe ouvrière, mais influencer «de l’intérieur» les projets des bureaucraties syndicales, en espérant les pousser à «gauche».

Un gouffre sépare ainsi la perspective nationaliste et parlementaire de RP de la perspective internationaliste et révolutionnaire du Parti de l’égalité socialiste (PES). Comme le rappelait le PES après la chute du précédent Premier ministre François Bayrou:

«Deux alternatives se présentent: soit l’oligarchie capitaliste construit une dictature pour écraser les travailleurs, soit la classe ouvrière mène une lutte révolutionnaire pour exproprier les oligarques. Il faut briser le carcan des bureaucraties syndicales et construire de véritables organisations de la base. L’alliance ouvrière internationale des comités de la base (IWA-RFC) appelle au transfert du pouvoir des bureaucraties aux travailleurs eux-mêmes. »

Le glissement réformiste de RP n’est pas accidentel. Il plonge ses racines dans la tradition opportuniste du renégat Felix Morrow, qui a rompu avec la IVe Internationale après la Seconde Guerre mondiale. Morrow soutenait un accommodement avec les États capitalistes européens d’après-guerre et prônait la liquidation des sections trotskystes dans les partis sociaux-démocrates et les institutions bourgeoises. En France, il appela les trotskystes à soutenir l’Assemblée constituante formée par de Gaulle en 1946, cautionnant la Quatrième République bourgeoise.

Cette orientation vers l’intégration dans les rouages de l’État capitaliste d’après-guerre, reprise plus tard par les pablistes puis les morénistes, revient à désarmer politiquement la classe ouvrière au moment même où le capitalisme se tourne vers des formes autoritaires de domination.

Le texte de Paul Morao évite soigneusement toute critique du Nouveau Front Populaire (NFP), coalition du PS, du PCF, d’EELV et de LFI, qui négocie aujourd’hui avec l’Élysée pour former un nouveau gouvernement. Ces partis ont démontré à maintes reprises leur loyauté envers le capitalisme français : soutien à la guerre de l’OTAN en Ukraine, acceptation de l’austérité, défense acharnée de la police et silence complice face au génocide à Gaza.

Présenter ces forces comme des partenaires possibles d’une «réponse ouvrière» revient à cautionner un nouveau piège électoral pour les travailleurs et les jeunes.

Jean-Luc Mélenchon, figure centrale de ce dispositif, a joué un rôle clé dans la stabilisation du régime. En 2022, il a refusé de mobiliser les millions d’électeurs qui avaient voté pour lui, préférant se poser en futur Premier ministre de Macron ou de Le Pen. Il a ensuite formé une alliance avec le PS de François Hollande—celui-là même qui avait instauré l’état d’urgence et réprimé les manifestations ouvrières.

Les appels de RP à «dégager Macron» et à instaurer une «Assemblée unique» rejoignent, en réalité, les slogans creux de Mélenchon pour une «VIe République». Ce vernis démocratique dissimule la même soumission aux institutions capitalistes.

Les travailleurs ont déjà d’amères expériences avec les impasses produites par cette perspective. En Grèce, le gouvernement Syriza trahit en 2015 le référendum sur l’austérité et imposa lui-même le programme d’austérité de l’Union européenne. En Espagne, le gouvernement PSOE–Podemos envoya la police anti-émeute contre les métallurgistes d’Andalousie en 2021, tout en augmentant le budget de la défense pour préparer la guerre de l’OTAN contre la Russie.

Ces exemples montrent que les perspectives de pseudo-gauche aboutissent à l’intégration de forces petites-bourgeoises dans l’appareil d’État capitaliste hostile à la classe ouvrière. De même, la crise de régime en France n’appelle pas une «refonte constitutionnelle», mais une réorganisation du mouvement ouvrier sur des bases révolutionnaires et internationalistes.

La seule alternative réelle réside dans une mobilisation consciente de la classe ouvrière à l’échelle mondiale—une alliance non pas avec la bureaucratie et la pseudo-gauche, mais entre travailleurs, via l’Alliance ouvrière internationale des comités de la base. Cette lutte exige une direction politique claire: une avant-garde trotskyste, armée du programme du socialisme mondial.

Ce n’est pas une nouvelle «Assemblée» qu’il faut imposer, mais un pouvoir ouvrier international qui exproprie la bourgeoisie, abolit les bases matérielles de son pouvoir et instaure le socialisme.

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