Des centaines de morts dans les manifestations contre les élections truquées en Tanzanie

On craint que des centaines de manifestants aient trouvé la mort après que les forces de sécurité tanzaniennes ont lancé une répression sauvage contre les manifestations provoquées par les élections frauduleuses du 29 octobre 2025. Dans ce que beaucoup qualifient de couronnement sous la menace des armes, la présidente Samia Suluhu Hassan, du parti nationaliste bourgeois au pouvoir depuis 64 ans, le Chama Cha Mapinduzi (CCM), a été déclarée vainqueur samedi avec 98 % des voix.

Ce scrutin frauduleux a déclenché trois jours de manifestations de masse et d'affrontements violents avec la police. Dans les grandes villes, notamment Dar es Salaam, Arusha, Mbeya, Mwanza, Tunduma et Kahama, des centaines de milliers, voire des millions de personnes ont envahi les rues, bravant le couvre-feu, les gaz lacrymogènes et les tirs à balles réelles des forces de sécurité.

Des manifestants dans les rues d'Arusha, en Tanzanie, le jour des élections, le 29 octobre 2025 [AP Photo/str]

Les manifestants ont incendié des commissariats de police, détruit des urnes électorales et mis le feu à des véhicules, des maisons et des commerces appartenant à des responsables du CCM et à leurs riches associés. Les portraits de la présidente Hassan, autrefois affichés dans tous les bâtiments publics, ont été brûlés.

Le règlement de comptes politique a également visé les artistes et les célébrités les plus en vue de Tanzanie. Diamond Platnumz, l'artiste le plus écouté en Afrique centrale et orientale et l'un des artistes africains les plus populaires au monde, sa protégée Zuchu, l'une des artistes féminines les plus écoutées de la région, et le rappeur Bill Nas sont tous devenus des cibles. Les manifestants ont attaqué leurs maisons et incendié leurs voitures et leurs commerces. Pendant des années, ces artistes se sont produits lors des rassemblements du CCM, ont fait l'éloge de la présidente Hassan dans leurs chansons et ont contribué à redorer l'image du régime.

Le gouvernement a réagi par une répression sauvage. Le parti d'opposition CHADEMA affirme que jusqu'à 800 personnes ont été tuées. Une source diplomatique a déclaré à la BBC que le nombre de morts pourrait dépasser les 500. En raison des restrictions imposées aux réseaux sociaux, de l'interdiction d'entrée aux journalistes étrangers et du fait que les médias nationaux tels que The Citizen et Daily News se contentent de répéter les déclarations officielles du CCM, l'ampleur totale du bain de sang ne peut être confirmée.

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Samedi, Hassan, qui était restée silencieuse et dont on ignorait où elle se trouvait depuis le jour du scrutin, a fait une brève apparition dans la capitale du pays, Dodoma, pour recevoir le certificat de victoire des autorités électorales. S'exprimant après coup, elle a affirmé que le résultat montrait que les Tanzaniens avaient « voté massivement » pour elle.

Hassan a menacé les manifestants : « En matière de sécurité en Tanzanie, il n'y a pas de débat possible : nous devons utiliser tous les moyens de sécurité disponibles pour garantir la sécurité du pays ».

Depuis, elle a disparu de la scène publique, peut-être en pensant à ses anciens homologues du Népal, du Sri Lanka et de Madagascar, tous contraints de fuir en pleins soulèvements populaires.

À ce jour, on ne sait toujours pas si les manifestations se poursuivent, car le couvre-feu national imposé par le régime et les restrictions sévères imposées à l'accès à Internet ont obscurci la situation. Ce qui est clair, c'est que le couronnement de Hassan a déclenché un soulèvement national contre le régime du CCM et l'ordre social tout entier qu'il représente.

Il n'y a aucun précédent de manifestations de cette ampleur dans l'histoire de la Tanzanie depuis son indépendance. Au fil des ans, il y a eu des luttes isolées et de faible ampleur menées par les communautés masaï qui résistaient à l'expulsion de leurs terres ancestrales pour agrandir les parcs nationaux, par les mineurs et les villageois exploités par les sociétés minières, et par les travailleurs et les jeunes indignés par le détournement des revenus du gaz naturel. Il n'y a jamais eu d'explosion nationale unifiée de la colère des classes populaires.

Le principal parti d'opposition, le CHADEMA pro-patronal dirigé par Tundu Lissu, qui reste emprisonné sur la base d'accusations de trahison fabriquées de toutes pièces, a rejeté le résultat des élections. « Ces résultats n'ont aucun fondement dans la réalité », a déclaré le secrétaire général John Mnyika. Le CHADEMA ne semble pas diriger la vague actuelle de manifestations. En effet, son conseil exécutif a déclaré que le parti débattait d'une manifestation nationale alors même que les manifestants avaient déjà pris les choses en main, imposant non seulement des manifestations, mais aussi un véritable arrêt national au cours des trois jours précédents, avec la fermeture des commerces et la paralysie des transports dans les grandes villes.

Tundu Lissu s'adressant au Parlement tanzanien à Dodoma en 2017 [Photo by Likumbage / CC BY-SA 4.0]

« Nous allons très bientôt annoncer notre réaction, qui pourrait inclure des manifestations nationales », a déclaré John Kitoka, porte-parole du CHADEMA. Kitoka a réitéré que la principale revendication du parti restait que le CCM organise un nouveau scrutin sous supervision internationale. «Nous appelons à l'intervention d'un organisme crédible pour superviser une nouvelle élection », a-t-il déclaré.

Le CHADEMA pourrait se sentir obligé d'appeler à des manifestations pour canaliser et contenir le mouvement populaire, le ramenant vers des appels au CCM. Mais le parti n'a aucune intention de déstabiliser le capitalisme tanzanien. Historiquement, le CHADEMA a montré peu de capacité à mobiliser l'action de masse. Sa direction est en grande partie composée d'anciens responsables du CCM et reste orientée vers la politique parlementaire.

C'est avant tout un parti pro-capitaliste. Sa constitution défend « la propriété, la libre entreprise et le secteur privé [...] Nous croyons au marché libre, et non à un marché chaotique ». Il déclare que ses objectifs sont « de construire et de renforcer une économie de marché libre [...] la libre entreprise et le secteur privé », et « de créer un environnement propice à l'expansion du secteur privé ».

Le CHADEMA a appelé la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et l'Union africaine (UA) à intervenir. Ces deux organisations sont des instruments de la domination impérialiste en Afrique.

L'actuel président de l'UA, Mahmoud Ali Youssouf, a déjà félicité Hassan pour sa « victoire ». Youssouf a été ministre des Affaires étrangères de Djibouti, supervisant les relations étroites du pays avec les États-Unis, la France et les États du Golfe en raison de sa position stratégique dans le détroit de Bab el-Mandeb. Il est un membre éminent du Rassemblement du peuple pour le progrès, le parti qui dirige le pays depuis son indépendance de la France en 1977. Comme Hassan, il fait partie de l'élite dirigeante de l'Afrique de l'Est.

Le rôle de la SADC n'est pas de défendre la démocratie, mais de défendre l'ordre capitaliste et les élites dirigeantes de la région contre les révoltes populaires. En vertu du pacte de défense mutuelle de la SADC, l'organisation peut déployer des troupes sur le territoire d'un État membre pour réprimer les « troubles internes » et rétablir « l'ordre public » à la demande de ce gouvernement. En 2017, après l'assassinat du commandant de l'armée du Lesotho et les craintes d'un coup d'État, la SADC est intervenue avec des troupes. En 2021, le Mozambique a invoqué le pacte pour obtenir un soutien militaire contre l'insurrection islamiste à Cabo Delgado, alimentée par la pauvreté de masse.

Le porte-parole présidentiel Jonas Mbambo du Malawi voisin, qui préside actuellement l'Organe de coopération en matière de défense et de sécurité de la SADC, a déclaré que son pays suivait de près la situation. Le Malawi, pays enclavé, ressent les répercussions des manifestations, confronté à des pénuries de carburant et à des perturbations commerciales. Les manifestations ont également perturbé la circulation des marchandises vers le Rwanda, sous la dictature de Paul Kagame depuis trois décennies.

Les classes dirigeantes d'Afrique de l'Est craignent de plus en plus d'être les prochaines sur la liste. Selon Africa Intelligence, Hassan aurait eu des entretiens téléphoniques séparés avec le président kenyan William Ruto et le dirigeant de longue date de l'Ouganda, Yoweri Museveni. L'année dernière, Ruto a été confronté à des manifestations massives menées par la génération Z contre les mesures d'austérité du FMI, qui ont fait des centaines de morts. Museveni, largement méprisé après près de quatre décennies au pouvoir, prépare une nouvelle élection frauduleuse en janvier 2026, marquée par l'intimidation et la répression violente de l'opposition.

Ces appels auraient eu lieu mercredi soir, alors que les manifestations en Tanzanie menaçaient de déstabiliser toute la région. Kenyans.co.ke a rapporté que « le résultat de ces appels téléphoniques n'est pas encore tout à fait clair, mais Suluhu [Hassan] aurait probablement cherché à obtenir le soutien des principaux membres de la Communauté de l'Afrique de l'Est à la suite des violences post-électorales ».

Bien que les détails restent flous, des personnalités éminentes des deux régimes ont rapidement réagi. En Ouganda, le général Muhoozi Kainerugaba, fils de Museveni, héritier présomptif et chef des forces de défense, a proféré une menace sur les réseaux sociaux : « Je constate que le virus kenyan s'est transmis aux Tanzaniens. Les Ougandais ne doivent pas s'inspirer des idées stupides de nos voisins. Ici, le dispositif de sécurité est strict et impitoyable. »

Au Kenya, le Premier secrétaire du Cabinet, Musalia Mudavadi, a condamné les manifestants kenyans qui avaient pénétré en Tanzanie par le poste-frontière de Namanga pour soutenir leurs frères et sœurs tanzaniens. « Respectez les lois des autres pays », a-t-il exhorté. « Vous pouvez ne pas les aimer, mais respectez-les [...] Je veux encourager nos jeunes à faire preuve de prudence. »

La panique qui s'empare des cercles dirigeants d'Afrique de l'Est est bien fondée. Ils président tous à des sociétés qui comptent parmi les populations les plus jeunes du monde, confrontées au chômage de masse, à la faim et à l'absence de tout avenir sous le capitalisme. Alors que la classe dirigeante s'enrichit sur le dos de la misère de millions de personnes et impose l'austérité par la répression policière, le spectre qui hante les élites d'Afrique de l'Est est celui d'une toute nouvelle génération qui s'oppose à l'ordre post-indépendance dans son ensemble. La tâche qui attend les travailleurs et les jeunes tanzaniens est de construire leur propre direction politique indépendante, armée d'une perspective révolutionnaire et internationaliste.

(Article paru en anglais le 2 novembre 2025)

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