Le 28 juillet, le cabinet japonais a approuvé le livre blanc militaire annuel du gouvernement. Produit par le ministère de la Défense, ce document est présenté comme une justification de la remilitarisation du Japon et indique clairement que la Chine est la cible principale de ce renforcement massif. C’est le premier livre blanc publié depuis la publication officielle de la nouvelle stratégie militaire de Tokyo en décembre dernier.
Le document présente la Chine comme le «plus grand défi stratégique du Japon», tout en dénonçant la Russie et la Corée du Nord. Tokyo affirme que Pékin «poursuit et amplifie ses changements unilatéraux du statu quo par la force» dans les mers de Chine orientale et méridionale, une accusation qui apparaît tout au long du document. Ce prétexte permet à Tokyo d’augmenter considérablement ses dépenses militaires; d’acquérir des missiles de croisière et des drones pour lancer des attaques offensives; et de renforcer ses alliances avec les États-Unis et d’autres «pays partageant les mêmes idées» dans la région.
Le livre blanc indique que les «trois objectifs de défense» du Japon consistent à façonner l’environnement de sécurité dans la région, à se préparer à répondre à de supposés changements unilatéraux du statu quo par la force et à planifier la «perturbation et la défaite» d’une invasion. En d’autres termes, Tokyo a l’intention de posséder la capacité militaire de menacer d’autres pays, notamment la Chine, tout en se préparant à lancer une guerre de concert avec les États-Unis, sous prétexte de la prétendue «menace» posée par Pékin.
L’accent mis sur la Chine est significatif. Avant la publication de la stratégie de sécurité nationale révisée en décembre dernier, ainsi que de la stratégie de défense nationale et du programme de renforcement de la défense, Tokyo invoquait l’«agression» de la Corée du Nord comme principale justification de la remilitarisation. Mais cette justification bidon a été mise de côté. Désormais, ce sont les «changements unilatéraux du statu quo par la force» de Pékin qui sont censés rendre les préparatifs de guerre nécessaires.
En réalité, le Japon et les États-Unis s’en prennent à la Chine parce qu’elle refuse de se plier à l’hégémonie américaine dans la région indopacifique, ou à ce que l’on appelle «l’ordre international fondé sur des règles», dont les règles sont écrites à Washington. La Chine est présentée comme l’agresseur pour dissimuler les ambitions de l’impérialisme américain et japonais et la responsabilité de Washington dans l’exacerbation des tensions dans la région.
Dans le cadre du «pivot vers l’Asie» du gouvernement Obama, des différends territoriaux mineurs en mer de Chine orientale et méridionale, notamment entre la Chine et le Japon, ont été délibérément attisés. Lorsque le gouvernement Trump a pris le pouvoir, Washington a attisé les tensions entre la Chine continentale et Taïwan, une politique que Biden a poursuivie. Cela comprend l’envoi de navires de guerre pour des opérations de «liberté de navigation» dans le détroit de Taïwan, des échanges diplomatiques de haut niveau entre les responsables américains et taïwanais, et des ventes importantes d’armes à Taipei.
Tokyo soutient Washington sur la question de Taïwan. Le livre blanc indique que Pékin «accroît la pression militaire sur Taïwan», qui, selon Tokyo, constitue également une menace pour les îles japonaises voisines. Il dénonce hypocritement la Chine pour ses transits aériens et navals dans la région, tout en soutenant les provocations navales et aériennes des États-Unis autour de Taïwan et en mer de Chine méridionale. Washington et Tokyo tentent en fin de compte d’inciter la Chine à entrer en conflit au sujet de Taïwan en utilisant la même tactique qu’en Ukraine pour provoquer une guerre avec la Russie.
En prévision d’une telle guerre, le ministère de la Défense s’est engagé, dans le cadre du programme de renforcement de la défense publié en décembre dernier, à porter les dépenses militaires entre 2023 et 2027 à 43.000 milliards de yens (300 milliards de dollars), soit une augmentation de 56,5 pour cent par rapport à la période quinquennale précédente. Le livre blanc réitère l’engagement de porter les dépenses militaires annuelles au niveau de la référence de Washington d’ici l’année fiscale 2027. Il indique que Tokyo «prendra les mesures nécessaires pour que le niveau du budget consacré au renforcement fondamental des capacités de défense et aux initiatives complémentaires atteigne 2 pour cent du PIB de l’année fiscale 2022», alors qu’il est actuellement de 1 pour cent.
Cet objectif sera atteint grâce à un budget militaire de 8.900 milliards de yens (62 milliards de dollars) en 2027, ainsi qu’à des dépenses supplémentaires pour les garde-côtes, les infrastructures et la recherche technologique, ce qui portera le total à environ 11.000 milliards de yens (77 milliards de dollars). Dans le cadre de la stratégie militaire révisée du Japon, le gouvernement créera de nouveaux mécanismes pour intégrer les dépenses et les opérations supplémentaires de secteurs distincts dans ses forces armées. Ce faisant, Tokyo militarise davantage ces secteurs, les aligne sur la stratégie de guerre contre la Chine et double de facto ses dépenses militaires annuelles.
La manipulation des dépenses pour atteindre le seuil de 2 pour cent vise sans aucun doute à détourner l’opposition de l’opinion publique à la guerre. Un sentiment anti-guerre est présent depuis longtemps au Japon, surtout au sein de la classe ouvrière, qui a beaucoup souffert des régimes militaristes des années 1930 et 1940, avant la défaite du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale.
L’opinion publique s’oppose largement aux efforts qui visent à éliminer l’article 9 de la constitution du pays, la clause dite pacifiste. Cet article stipule que le Japon «renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation et à la menace ou à l’utilisation de la force comme moyen de règlement des différends internationaux» et que «les forces terrestres, navales et aériennes, ainsi que tout autre potentiel de guerre, ne seront jamais maintenues».
Un sondage réalisé par l’Asahi Shimbun en mai dernier a révélé que 55 pour cent des personnes interrogées pensent que l’article 9 ne devrait pas être modifié.
Pour contourner l’opposition du public, la classe dirigeante japonaise a au contraire ébréché et réalisé de nombreuses «réinterprétations» de la Constitution au fil des ans. Après avoir signé le traité de sécurité entre le Japon et les États-Unis en 1951, Tokyo a créé les forces d’autodéfense en 1954, nom officiel de l’armée japonaise. De 1972 à 2014, le gouvernement a revendiqué le soi-disant droit à «l’autodéfense collective» en théorie.
En 2014, le gouvernement du premier ministre Shinzo Abe a explicitement affirmé que le Japon pouvait mener des opérations d’«autodéfense collective» aux côtés d’un allié et a fait adopter l’année suivante une loi militaire à ce sujet par le parlement. Aujourd’hui, le livre blanc du ministère de la Défense promet une collaboration plus étroite avec les «pays partageant les mêmes idées», comme la Corée du Sud.
Tokyo s’est rapproché de Séoul ces derniers mois sous la pression de Washington, qui considère la coopération entre ses deux principaux alliés en Asie du Nord-Est comme essentielle à sa politique de guerre. Les deux pays font partie du système de missiles antibalistiques que Washington a mis en place dans la région et qui vise la Chine. Le Japon a également multiplié les exercices militaires avec les États-Unis et la Corée du Sud dans la région, provoquant encore davantage Pékin.
Le livre blanc du Japon revient à justifier la remilitarisation et l’intensification de la guerre contre la Chine, en alliance avec les États-Unis. Les intentions de Tokyo n’ont rien de défensif, la classe dirigeante japonaise cherchant à se débarrasser des entraves de sa constitution d’après-guerre afin de pouvoir mener la guerre dans la poursuite de ses intérêts impérialistes.
(Article paru en anglais le 4 août 2023)