Ruba Ghazal, nouvelle co-porte-parole de Québec solidaire, avance la fraude du nationalisme «inclusif»

Seule candidate en lice, Ruba Ghazal a été officiellement élue comme co-porte-parole féminine de Québec solidaire (QS) lors du congrès du parti en novembre dernier. Ghazal dirigera la formation pro-indépendance et soi-disant de «gauche» aux côtés de l’ex-leader étudiant Gabriel Nadeau-Dubois, au moment où cette formation effectue, en réponse à la crise capitaliste et l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, un virage marqué vers le chauvinisme anti-immigrant et le nationalisme économique.

La classe dirigeante et ses médias ont accueilli la nouvelle avec enthousiasme et y sont allés de propos élogieux envers la députée. Par exemple, le Journal de Montréal, un tabloïde nationaliste de droite qui attise la xénophobie, l'a décrite comme l'une des «politiciennes les plus prometteuses au Québec», capable «d’insuffler un nouvel élan à Québec solidaire». En entrevue à l'émission de grande écoute Tout le monde en parle, Ghazal a été présentée comme une «politicienne redoutable, jamais radicale».

Le Premier ministre du Québec François Legault a aussi louangé Ghazal, qualifiant celle-ci de «modèle d’intégration au Québec» en référence à ses origines familiales palestiniennes. «Elle est arrivée au Québec, elle a appris le français et le parle très bien, de façon parfaite. Elle est impliquée en politique, elle aime la culture québécoise», a-t-il déclaré.

Venant du chauvin et ultra-conservateur Legault, ces propos sont loin d'être anodins. La classe dirigeante sait que derrière son image de «gauche modérée», Ghazal est une fervente nationaliste québécoise qui ne représente en rien une menace pour l’ordre capitaliste établi. Durant ses cinq années comme députée à l’Assemblée nationale, Ghazal a fait ses preuves en tant que protectrice des intérêts de la grande entreprise québécoise.

L’élection de Ghazal incarne le tournant marqué vers la droite opéré par ce parti des classes moyennes privilégiées. Au cours de la dernière décennie, QS a progressivement laissé de côté ses prétentions «sociales» jadis utilisées afin d’engourdir les travailleurs et les jeunes, pour assumer plus ouvertement son véritable rôle: raviver le nationalisme québécois et le projet réactionnaire d’indépendance du Québec aux côtés du Parti québécois et du mouvement souverainiste dans son ensemble.

Ruba Ghazal, prenant la parole à Sherbrooke ce 21 janvier, aux côtés d’une autre députée de Québec solidaire, pour glorifier le drapeau du Québec [photo: page Facebook de Ruba Ghazal]

Ghazal provient d'une famille de réfugiés palestiniens et a passé une partie de sa jeunesse dans des camps de réfugiés au Liban. Elle a immigré au Canada à l’âge de 10 ans. Elle détient un baccalauréat en administration des affaires aux HEC à Montréal, une maîtrise en environnement ainsi qu’un certificat en santé et sécurité au travail. Bien qu’elle se présente comme une «fille de la shop», Ghazal a plutôt œuvré à titre de directrice en santé, sécurité et environnement pour la multinationale américaine Owens-Illinois. Elle s’est subséquemment lancée en politique et a été élue députée pour le comté de Mercier sur l'île de Montréal en 2018.

Dans les dernières années, Ghazal a été à l'avant-scène, avec le reste de la direction de QS, pour entreprendre le tournant «pragmatique» de Québec solidaire, c’est-à-dire mettre au rancart son image «contestataire» afin de se présenter comme un parti «responsable», capable de gouverner l’état capitaliste québécois. Les quelques mesures sociales limitées proposées ici et là, comme les repas gratuits dans les écoles, sont de la poudre aux yeux. Et même si ces timides mesures étaient adoptées, elles ne toucheraient aucunement aux vastes problèmes sociaux causés par des décennies d’austérité capitaliste.

La promotion accrue de l'indépendance par Ghazal et QS fait partie de ce tournant «pragmatique». C’est la réponse du parti aux critiques de ses partenaires péquistes qui lui reprochent de mettre trop d’accent sur son projet social de «gauche» au détriment de la défense des «intérêts du Québec» et de l’indépendance.

Ghazal a été le principal visage public d'une tournée de Québec solidaire pour promouvoir l'indépendance dans les cégeps et universités québécois. Selon ses propres observations, les jeunes associent – avec raison – le nationalisme québécois à un discours «identitaire et conservateur». Le rôle que Ghazal s’est assigné est de modifier cette perception pour couvrir la nature et la fonction réelles du nationalisme et du séparatisme: un instrument de domination de classe et un incubateur des forces politiques les plus réactionnaires.

La conception frauduleuse d’un nationalisme «inclusif et progressiste»

Ghazal a déclaré, par exemple, que «le nationalisme n’appartient pas à la droite. Il faut que la gauche se le réapproprie de la façon la plus inclusive. Je dis toujours un nationalisme inclusif, rassembleur et ouvert». Elle a ajouté avec démagogie: «Le vent de droite souffle fort. Alors que nos adversaires se battent pour savoir qui sera le plus dur avec les immigrants ou qui sera le plus conciliant avec les très riches, nous la gauche on se bat pour les gens, on se bat pour le Québec». Tout cela est une fraude monumentale.

L’État-nation, aujourd’hui historiquement obsolète, est au cœur de la crise du système capitaliste actuelle. La contradiction entre le développement d'une économie de plus en plus mondialisée – lié au développement des forces productives et des technologies – et la division du globe en États nationaux rivaux entraîne les puissances impérialistes, y compris le Canada, vers la guerre économique et militaire totale. C'est cette contradiction qui est à la base des deux Guerres mondiales du siècle précédent, et de la troisième qui commence déjà à prendre forme avec la guerre de l’OTAN contre la Russie et l’offensive militaire et stratégique des États-Unis contre la Chine.

La mondialisation de la production est un processus historiquement progressiste qui augmente la productivité du travail et unit les travailleurs au-delà des frontières nationales. Sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière, la mondialisation permettrait la planification et l’utilisation rationnelle des ressources de la terre afin de réorganiser la société sur une base socialiste et égalitaire répondant aux besoins de tous. Or, sous le capitalisme, la mondialisation est utilisée par les grandes compagnies transnationales pour déplacer la production aux quatre coins du globe à la recherche d’une main-d’œuvre toujours moins coûteuse à exploiter; elle engendre également une lutte féroce entre les différentes cliques capitalistes nationales pour l’accès aux ressources et aux marchés.

Autrement dit, le système d’États-nations, dans lequel l’accumulation du profit privé est enracinée, entrave la coordination de la production mondiale pour satisfaire les besoins humains. Cela est démontré de manière dramatique par l’incapacité de la classe dirigeante d’offrir une quelconque réponse scientifique et coordonnée à la crise climatique qui menace l’humanité. Comme la pandémie de COVID-19, le réchauffement climatique n’en a que faire des frontières nationales.

En effet, le nationalisme est l’instrument idéologique de prédilection des classes dirigeantes pour mobiliser la classe ouvrière derrière ses luttes économiques et ses guerres contre ses rivaux capitalistes. Le mythe promu par QS d’un nationalisme «progressiste» vise uniquement à mieux dissimuler les véritables rapports de classe au Québec, attacher les travailleurs québécois à la bourgeoisie québécoise, puis à tourner ceux-ci contre leurs frères et sœurs de classe dans le reste du Canada et du monde.

Cette fabulation va de pair avec l’idée d’un Québec «pacifique» qui n’aurait rien à voir avec l’émergence de Trump et d’un mouvement fasciste aux États-Unis. Gabriel Nadeau-Dubois, par exemple, a écrit sur X qu’«il faut chérir la différence québécoise. Malgré tous nos problèmes, nous sommes bien ici au Québec. Malgré tous nos désaccords, nous sommes encore capables de se parler, d’imaginer un avenir ensemble».

En réalité, QS a déjà signalé qu’il ferait front commun avec les autres partis bourgeois et la bureaucratie syndicale pour protéger les intérêts de classe de l’élite dirigeante face aux menaces tarifaires de Trump. Ceci implique d’avancer un programme axé sur le «Québec d’abord» pour développer des ententes économiques directes avec Washington aux dépens de ses rivaux au sein de l’État fédéral canadien. Cette guerre économique, dans laquelle QS s’est déjà lancé en proposant de répliquer à Trump en haussant les prix de l’électricité vendue aux États-Unis, se fera sur le dos de la classe ouvrière, à qui la classe dirigeante va tenter d’imposer de nouveaux programmes d’austérité sauvage.

QS, le nationalisme et la montée du chauvinisme d’extrême-droite

Comme on le voit avec l’arrivée au pouvoir du président fasciste Donald Trump aux États-Unis, ainsi que la promotion médiatique de Pierre Poilièvre et de son programme «Canada First», le nationalisme est directement lié à la montée du chauvinisme anti-immigrant et de l’extrême-droite. Le Québec ne fait pas exception et QS est mandaté de brouiller cette réalité.

Au Québec, la CAQ et le PQ se placent à la tête de la campagne chauvine de toute l’élite dirigeante: adoption d’une série de lois discriminatoires comme la loi 21 sur la «laïcit»; appels à une réduction massive du nombre d’immigrants; dénonciation des minorités comme une «menace existentielle» à la «nation québécoise», etc. Malgré ces sorties associées à l’extrême-droite, QS prend systématiquement la défense du PQ et de la CAQ contre ceux qui les accusent de «racisme». En fait, QS a toujours tacitement soutenu les attaques contre les minorités religieuses et culturelles en disant que le «débat» sur la laïcité est légitime et nécessaire. Cette position est résumée par Ghazal lorsqu’elle déclare que «le fait de dire qu’on en veut moins [d'immigrants] ce n’est pas ça le problème. C’est quand on dit: “ On en veut moins parce qu’ils sont la cause de la crise du logement ”. Ça, ça peut heurter».

L’indépendance du Québec: le projet réactionnaire pour un nouvel État capitaliste en Amérique du Nord

Tout autant frauduleuse est la tentative de QS de présenter l’indépendance comme un projet «progressiste» pour le «peuple québécois». Il s’agit en réalité du projet de puissantes sections de la classe dirigeante québécoise francophone, soutenue par des couches des classes moyennes, pour la création d’un nouvel État capitaliste en Amérique du Nord dont les frontières serviraient comme une nouvelle façon de diviser la classe ouvrière.

Le séparatisme (la sécession du Québec de l’État fédéral canadien) a d’abord été utilisé par la bourgeoisie québécoise et canadienne – avec l’aide de la bureaucratie syndicale – pour faire dérailler un mouvement extrêmement militant de la classe ouvrière dans les années 1960-70 au Québec dans le contexte d’une montée de la lutte des classes à l’échelle internationale. Comme Mai 68 en France, ce mouvement avait un immense potentiel émancipateur, mais les syndicats ont canalisé l’opposition sociale derrière l’élite dirigeante et le Parti québécois pro-indépendance.

L’indépendance est aujourd’hui largement discréditée non seulement en raison des brutales mesures d’austérité anti-ouvrières imposées par le Parti québécois lorsqu'il a assumé le pouvoir au cours des quatre dernières décennies. L'intégration sans précédent de l'économie mondiale au cours des 30 dernières années a sapé les bases idéologiques de toute forme de nationalisme. Depuis les deux dernières décennies, le PQ et les forces souverainistes ont répudié toute association de l’indépendance avec un projet social «progressiste» au profit d’un appel nationaliste à l’exclusivisme ethnique et au chauvinisme anti-immigrant. Une nouvelle «République capitaliste du Québec» signifierait le démantèlement accéléré des services publics et la participation accrue du Québec aux crimes de l’impérialisme en tant que membre de l’OTAN et de NORAD (Défense aérospatiale de l'Amérique du Nord).

À la veille d’une nouvelle explosion de la lutte des classes – un processus international accéléré par l’élection de Trump – Ghazal et QS tentent désespérément de redorer le blason à ce piège politique pour la classe ouvrière. Forme de nationalisme extrême, la promotion de l’indépendance vise à diviser et isoler les travailleurs québécois de leurs frères et sœurs de classe au Canada et internationalement afin d’empêcher une rébellion unifiée de la classe ouvrière contre le capitalisme.

QS comme défenseur de l’impérialisme canadien

Plus souvent qu’autrement, Québec solidaire maintient un silence complice par rapport aux crimes de l’impérialisme canadien à l’étranger. Les fois où il prend position, comme les autres partis de l’Assemblée nationale, c’est pour appuyer ces crimes selon le prétexte mensonger que le Canada est une «force de paix» dans le monde à travers sa promotion des «droits humanitaires». Ce fut le cas lorsqu’Ottawa a joint les guerres menées par Washington en Afghanistan, en Lybie et en Syrie pour imposer son hégémonie dans la région géostratégique vitale et riche en ressources qu’est le Moyen-Orient. Ghazal elle-même s’est associée à la campagne d’agression des États-Unis et du Canada contre l’Iran en faisant adopter par l’Assemblée nationale, au nom du «droit des femmes», une résolution démonisant le régime iranien.

QS est totalement silencieux sur les dépenses militaires massives du gouvernement canadien pour avancer les intérêts prédateurs de l’impérialisme. Ceci inclut les milliards de dollars en aide militaire au régime ukrainien infesté de néonazis, lequel agit comme force par procuration de Washington et de l’OTAN dans la guerre contre la Russie. Le but de cette guerre est de subjuguer la Russie afin de contrôler toute la région eurasienne et mieux se positionner dans une éventuelle guerre contre la Chine.

QS s’est aussi rallié à la campagne de soutien de l’élite dirigeante envers l’assaut génocidaire mené par le régime israélien de Netanyahou afin d’exterminer le peuple palestinien. Lorsqu’un député solidaire a osé dénoncer la complicité de l’establishment politique québécoise dans le génocide à Gaza, Ghazal et la direction de QS lui ont dit de se taire et ont exigé de lui qu’il s’excuse publiquement.

Il faut bâtir un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière

QS suit ici le même parcours que SYRIZA en Grèce, PODEMOS en Espagne ou encore Die Linke en Allemagne, des partis que QS appelle ses «cousins». Malgré leurs prétentions de «gauche», une fois au pouvoir ces partis ont imposé des programmes d’austérité sauvage contre les travailleurs, attaqué les migrants fuyant la guerre et avancé les intérêts prédateurs de l’impérialisme européen. Au pouvoir, QS ne serait pas moins impitoyable envers les travailleurs que ses prédécesseurs libéraux, péquistes et caquistes.

La classe ouvrière doit rejeter l’agitation patriotique du fleurdelisé par l’establishment politique québécois, tout comme les travailleurs dans tout le Canada doivent rejeter le nationalisme canadien, l’arme idéologique des sections fédéralistes de l’élite financière et patronale. Les travailleurs québécois et canadiens font face aux mêmes enjeux fondamentaux que les travailleurs aux États-Unis, en Europe et internationalement: attaques contre les salaires, les conditions de vie et les services publics; élimination des droits démocratiques; montée des forces d’extrême-droite; risques d’une guerre nucléaire mondiale; pandémies et réchauffement climatique.

La classe ouvrière doit se préparer aux féroces luttes de classes à l’horizon en bâtissant un mouvement politique indépendant qui unira les travailleurs au-delà des frontières nationales dans une lutte pour le pouvoir ouvrier et le socialisme. Voilà le programme pour lequel lutte le Parti de l’égalité socialiste, en tant que section canadienne du Comité international de la Quatrième Internationale, le mouvement trotskyste mondial.

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