«Non, nous ne haïrons pas les immigrants et les musulmans»

Une critique limitée du discours officiel anti-immigrants met à nu la complicité de Québec solidaire

Le 13 octobre dernier, le quotidien La Presse a publié une chronique dans laquelle l’ancien maire de la Ville de Québec, Régis Labeaume, critique certains aspects de la «campagne sale» menée contre les immigrants et les minorités religieuses par le gouvernement provincial de la Coalition avenir Québec (CAQ) sous la pression constante du Parti québécois (PQ).

Labeaume est un souverainiste québécois qui a tenté de se présenter aux élections de 1998 sous la bannière péquiste. Avant d’être maire de la deuxième plus grande ville du Québec de 2007 à 2021, il a été un PDG dans l’industrie minière et un administrateur et consultant pour la grande entreprise.

Titrée «Non, nous ne haïrons pas les immigrants et les musulmans», sa chronique reflète les craintes de certaines sections de la grande entreprise qu’une politique d’immigration trop restrictive pourrait réduire l’accès à la main-d’oeuvre bon marché et ralentir la croissance économique du Québec.

C’est aussi un avertissement au chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon qu’un discours anti-immigrants trop virulent peut envenimer les conflits sociaux et nuire à la cause de l’indépendance du Québec.

Régis Labeaume (à gauche) en compagnie du Premier ministre du Canada, Stephen Harper, et du Premier ministre du Québec, Jean Charest, en 2012 (source: Wikipedia)

Le fait qu’il soit donné à un politicien nationaliste de droite comme Labeaume de critiquer ouvertement le chauvinisme québécois du PQ met en lumière le silence complice de la «gauche» québécoise et de son principal représentant politique, le parti Québec solidaire (QS).

Depuis l’élection de St-Pierre Plamondon comme chef du parti en octobre 2020, le PQ préconise une politique ultra-nationaliste. Fermement placé à droite du gouvernement de la CAQ, le PQ attaque les immigrants et les musulmans dans un langage venimeux et les accuse d’être responsables de tous les maux sociaux et économiques.

Dans une version québécoise de la théorie complotiste d’extrême-droite du «grand remplacement», le PQ dépeint l’immigration supposément «excessive» comme une menace existentielle pour la nation québécoise. Et il promet de la réduire de façon «drastique» en adoptant des politiques inspirées de la «Forteresse Europe» où des milliers de migrants meurent chaque année, noyés ou assassinés par les brutales polices des frontières.

Comme le démontre l’administration Trump aux États-Unis, ce chauvinisme anti-immigrants effréné est le fer de lance de la réaction politique. Utilisé par la classe dirigeante pour justifier l’expansion massive des pouvoirs répressifs de l’État, une explosion du militarisme et une offensive tous azimuts sur les droits démocratiques, il pave la voie à la dictature.

Québec solidaire critique à l’occasion les aspects les plus grossiers de l’agitation xénophobe du PQ et de la CAQ. Mais, en tant que représentant de couches privilégiées des classes moyennes, QS ne peut pas et ne veut pas dévoiler les intérêts de classe fondamentaux qui sous-tendent le tournant de la classe dirigeante vers le chauvinisme québécois comme arme idéologique pour diviser la classe ouvrière et imposer ses attaques propatronales.

QS est particulièrement complaisant envers le PQ dont il partage la perspective indépendantiste réactionnaire de création d’une république capitaliste indépendante du Québec.

QS légitime le discours chauvin du PQ en affirmant frauduleusement que le parti de St-Pierre Plamondon «n’est pas intolérant» et camoufle la montée de l’extrême droite, encouragée par le PQ, en déclarant que le «débat» sur l’immigration n’est pas «d’extrême droite», mais une discussion légitime «saine et pacifique». Il nie avec véhémence les parallèles de plus en plus évidents entre le chef du PQ et des figures de l’extrême-droite comme Marine Le Pen ou Donald Trump.

QS propose lui-même une réduction des seuils d’immigration et accepte l’idée frauduleuse que les immigrants ont une part de responsabilité dans la crise du logement et une myriade d’autres problèmes sociaux.

QS n’a pas réagi officiellement à la critique de Labeaume. Sa porte-parole Ruba Ghazal l’a partagée sur son compte X (anciennement Twitter) à titre de mise en garde contre «les dérives identitaires de la droite» en évitant soigneusement de mentionner que son allié souverainiste était la cible principale du texte.

Cette omission est d’autant plus remarquable que Labeaume – qui était maire lors de la tuerie de masse perpétrée le 29 janvier 2017 à la grande mosquée de Québec par le jeune fasciste canadien Alexandre Bissonnette – a spécifiquement averti le PQ que sa «stratégie est totalement irresponsable et dangereuse pour la cohésion sociale, et fera des dommages pour longtemps». Ce à quoi le PQ a répliqué qu’il continuera de tenir un discours incendiaire sous le prétexte ridicule de «promouvoir la paix sociale», et ce, «peu importe le niveau de démonisation dont il fera l'objet».

Québec solidaire n’est clairement pas intéressé à pointer du doigt le danger de violence fasciste associé à l’hystérie xénophobe dont fait preuve son allié péquiste. Car en dernière analyse, QS est le «flanc gauche» de la politique capitaliste au Québec. Son rôle est de garder l’opposition sociale confinée à une politique futile de pressions sur l’establishment et de fournir une couverture politique au PQ alors que ce dernier se tourne vers des formes extrêmes de nationalisme et de chauvinisme québécois.

Pour revenir à la chronique de Labeaume, celle-ci reflète le point de vue d’une faction du mouvement indépendantiste qui, tel qu’exprimé par l’ancien Premier ministre du Québec Lucien Bouchard dans une entrevue à Radio-Canada, s’oppose à la tenue à court terme d’un troisième référendum sur l’indépendance du Québec à cause du contexte politique jugé défavorable.

Labeaume exprime également les craintes de sections du mouvement souverainiste qu’un tournant trop explicitement chauvin risque de nuire à la cause indépendantiste en mettant à nu la fiction que celle-ci aurait un quelconque contenu «progressiste».

Au même moment, il parle pour des sections de la grande entreprise qui voient la réduction drastique des niveaux d’immigration – une politique partagée par tous les paliers de gouvernement au Canada – comme une menace à leur «droit» d’exploiter les travailleurs immigrants pour engranger de juteux profits.

Le chauvinisme anti-immigrants n’est pas limité à la classe politique québécoise. Au niveau canadien, le gouvernement fédéral-libéral de l’ancien Premier ministre Justin Trudeau a modifié l’entente réactionnaire entre les États-Unis et le Canada sur les tiers pays sûrs afin d’empêcher les migrants persécutés par l’administration Trump et sa Gestapo de l’immigration, ICE, de trouver refuge au Canada.

Plus récemment, le gouvernement Carney a déposé le projet de loi C-12 qui s’attaque brutalement aux droits des réfugiés, un groupe particulièrement vulnérable d’immigrants.

Tout comme ses brutales mesures d’austérité et son augmentation massive des dépenses militaires, Carney justifie sa chasse aux immigrants par l’unité nationale supposément nécessaire pour lutter contre Trump, ses tarifs et ses menaces d’annexion du Canada.

Revers de la médaille du nationalisme québécois, le nationalisme canadien est lui aussi un outil idéologique pour diviser les travailleurs francophones, anglophones et immigrés du Canada et renforcer ainsi l’emprise politique de l’élite dirigeante sur la classe ouvrière.

Les travailleurs canadiens doivent s’opposer à l’orgie de chauvinisme anti-immigrants venant de toutes les factions de l’élite dirigeante en unissant leurs luttes contre le capitalisme, qui est la cause ultime du fascisme et de la guerre impérialiste.

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