Le budget fédéral 2025 que le ministre des Finances François-Philippe Champagne a présenté mardi au Parlement marque un virage décisif à droite du premier ministre Mark Carney, de son gouvernement libéral et de la classe dirigeante canadienne dans son ensemble.
Promu sous le slogan nationaliste « Canada fort », le budget est présenté comme une démonstration de la volonté du gouvernement de prendre des «décisions difficiles » au nom de la défense de la nation. En réalité, il prévoit un programme de réarmement et d'enrichissement des entreprises qui sera financé par l’élimination d'emplois dans le secteur public, le démantèlement des services publics et d'autres attaques généralisées contre les travailleurs.
En présentant le budget, Champagne a réitéré la promesse répétée de Carney selon laquelle « le nouveau gouvernement canadien dépensera moins afin de pouvoir investir davantage ». Le sens de cette formulation est sans équivoque. Les libéraux ont l'intention de dépenser moins dans les soins de santé, le logement, l'éducation, les services publics et l’aide sociale, afin de pouvoir consacrer des dizaines de milliards supplémentaires à l'achat d'armes, aux incitations fiscales pour les entreprises, aux projets d'infrastructure d'extraction des ressources et à l'expansion du complexe militaro-industriel canadien.
Carney et Champagne présentent cela comme une réponse à un environnement mondial en mutation rapide et plus menaçant. Une phrase clé du document budgétaire reprend les avertissements répétés de Carney selon lesquels l'ordre mondial dirigé par les États-Unis s'est effondré. Le Canada, déclare-t-il, doit « redéfinir ses relations internationales, commerciales et en matière de sécurité », ajoutant : « Il ne s'agit pas d'une simple transition. Il s'agit d'une rupture, d'un changement de portée historique qui se déroule sur une courte période. Cette nouvelle réalité transforme nos assises économiques. »
Alors que la guerre commerciale lancée par le président Donald Trump et les droits de douane de rétorsion imposés par le gouvernement libéral frappent durement les travailleurs de secteurs clés des deux côtés de la frontière, notamment la production d'acier, d'aluminium, de bois d'œuvre et d'automobiles, la bourgeoisie canadienne se concentre sur la manière dont elle peut utiliser les actions et les menaces d'annexion de Trump comme couverture politique pour mener à bien une restructuration radicale des relations de classe dans l'intérêt du capital canadien et au détriment de la classe ouvrière. Le budget 2025 est un plan directeur visant à préparer l'impérialisme canadien à la guerre commerciale et à la guerre mondiale. Il repose essentiellement sur une exploitation accrue des travailleurs afin d'améliorer la « compétitivité » des entreprises et sur le détournement des ressources sociales pour financer le plus important renforcement militaire depuis plus de sept décennies.
Déjà, à l'approche de la présentation du « budget transformationnel » du gouvernement, les libéraux ont ordonné à Postes Canada de mettre en œuvre un plan de « restructuration » qui entraînera l’élimination de toute la distribution quotidienne et à domicile du courrier et la suppression de dizaines de milliers d'emplois à temps plein. Ils se sont vantés que cela prouvait leur volonté de faire des « choix difficiles » pour assurer la « viabilité budgétaire ».
En s'en prenant aux postiers, qui constituent depuis longtemps l'un des secteurs les plus militants de la classe ouvrière, et en détruisant de fait la poste en tant que service public, Carney a signalé que tous les services publics étaient menacés. Soutenu par l'oligarchie financière, le gouvernement a l'intention d'imposer des attaques similaires à tous les niveaux, en réduisant les services publics et les droits et emplois des travailleurs qui les administrent, afin de financer le militarisme, la guerre et l'enrichissement de l'élite capitaliste.
Préparer le Canada à la guerre mondiale
Les dépenses militaires et le renforcement de la capacité de guerre du Canada sont les priorités centrales du budget, le gouvernement détaillant ses plans pour augmenter les dépenses militaires de 84 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années.
En juin, Carney a annoncé une augmentation immédiate de 17 % des dépenses militaires afin de garantir que le Canada atteigne l'objectif de 2 % du PIB fixé par l'OTAN pour les dépenses militaires au cours de l'exercice 2025-2026. Aujourd'hui, le gouvernement positionne le pays pour atteindre le nouvel objectif de dépenses de l'OTAN, fixé à 5 % du PIB, ce qui nécessitera de multiplier par plus de trois le budget de la défense par rapport à l'année dernière, pour atteindre 150 milliards de dollars par an d'ici 2035.
Pour atteindre ces objectifs, il faudra non seulement augmenter massivement les dépenses de défense, qui seront financées par la classe ouvrière sous la forme d'une réduction des services publics et de l’aide sociale et d'une augmentation des impôts. Cela nécessitera également la militarisation de l'économie canadienne. En effet, lors d'une conférence de presse post-budgétaire, Champagne a déclaré : « Toutes les entreprises du pays devraient en principe avoir une stratégie de défense. »
Dans le cadre de la stratégie industrielle de défense du gouvernement, Ottawa investira dans un premier temps 6,6 milliards de dollars sur cinq ans pour faciliter l'accès des fabricants d'armes au capital, soutenir la recherche et l'innovation dans le domaine militaire, renforcer les chaînes d'approvisionnement et augmenter les réserves de minéraux essentiels.
Le budget réaffirme explicitement l'engagement du Canada à jouer un rôle de premier plan dans la guerre contre la Russie provoquée par les États-Unis et l'OTAN. Il déclare : « Dans un monde de plus en plus dangereux et instable, le Canada doit plus que jamais être prêt et apte à défendre son territoire, sa population et ses valeurs, à assurer sa souveraineté, ainsi qu'à protéger ses alliés et respecter ses engagements envers eux. À cet égard, le Canada contribue notamment à contrer l'agression russe et à défendre la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine pour assurer la sécurité dans toute la région euroatlantique. »
À cette fin, Ottawa alloue 2,7 milliards de dollars supplémentaires sur trois ans pour financer l'opération Reassurance, le plus important déploiement à l'étranger des Forces armées canadiennes, qui soutient la présence militaire avancée de l'OTAN aux frontières de la Russie par le biais de son groupement tactique en Lettonie. Parallèlement, le gouvernement lance un nouveau Fonds d'infrastructure de l'Arctique d'un milliard de dollars pour construire des aéroports, des ports en eau profonde et des réseaux routiers praticables en toutes saisons dans le Nord : des projets à double usage destinés à faciliter la logistique civile et la projection de forces militaires vers la frontière arctique, où l'extraction des ressources et les conflits stratégiques avec la Russie et d'autres puissances mondiales s'intensifient.
Mais même ces augmentations massives ne représentent qu'un acompte. Le gouvernement prépare déjà le terrain pour la prochaine étape : une nouvelle flotte de sous-marins, la multiplication des bases militaires dans l'Arctique, des capacités de frappe à longue portée et une intégration considérablement accrue avec les structures de défense américaines, y compris le projet de bouclier anti-missile « Golden Dome » de Trump, d'un montant de 175 milliards de dollars, dirigé contre la Russie et la Chine.
Le budget alloue des milliards à l'expansion de la production d'armes, de la fabrication de munitions, des systèmes de guerre par drones, de la construction navale, des capacités de cyberguerre et de la surveillance spatiale.
Des coupes sombres dans le secteur public et les services sociaux pour financer la guerre
Dans le même temps, pour financer ce réarmement massif, le gouvernement a lancé un programme de coupes et de restructurations radicales dans l'ensemble du secteur public.
La mesure la plus immédiate et la plus dévastatrice est la suppression prévue de 40 000 emplois dans la fonction publique fédérale d'ici 2028. Le gouvernement prévoit de recourir à des départs à la retraite et à des indemnités de départ, mais a déjà signalé qu'il invoquerait la clause d'« ajustement des effectifs » du secteur public pour imposer des licenciements lorsque les mesures volontaires ne suffiront pas.
Les conséquences seront considérables : accès réduit aux programmes de soutien au revenu, allongement des délais de traitement des demandes d'immigration et de citoyenneté, détérioration de l'application des règles de sécurité sur le lieu de travail, affaiblissement de la surveillance environnementale et érosion des capacités fédérales dans les domaines de la santé, des sciences, des transports et des infrastructures. L'objectif n'est pas d'améliorer l'efficacité, mais de réduire les services publics afin de pouvoir détourner les ressources vers le secteur militaire et les entreprises.
Les autres principales coupes et changements structurels annoncés dans le budget de mardi comprennent :
- Des réductions en termes réels des transferts provinciaux pour les soins de santé, l'éducation et les services sociaux, qui seront inférieurs à l'inflation et à la croissance démographique.
- Des réductions importantes des budgets de fonctionnement de ministères clés, notamment ceux de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, de l'Emploi et du Développement social, de l'Environnement et du Changement climatique, des Transports, et des Pêches et des Océans.
- La réduction du soutien au logement public et abordable, remplacé par des structures de financement en partenariat public-privé conçues pour garantir les profits des promoteurs et des investisseurs.
- Les incitations fiscales pour les entreprises et l'amortissement accéléré des immobilisations, présentés comme des « investissements dans la productivité », qui réduisent encore davantage les niveaux d'imposition des entreprises, déjà historiquement bas.
- La réorientation des fonds publics destinés à la recherche vers l'innovation liée à la défense, le développement de technologies « à double usage » et les chaînes d'approvisionnement pour la fabrication de munitions et d'armes de pointe.
Dans son discours sur le budget, Champagne s'est vanté que le Canada est «l'un des meilleurs endroits au monde pour investir », soulignant la réduction du taux d'imposition marginal effectif à 13,2 % prévue dans le budget. Il s'agit du taux le plus bas du G7, inférieur même à celui des États-Unis après que le réactionnaire Donald Trump ait prolongé ses réductions d'impôts de 2017 dans le cadre de son « One Big Beautiful Bill ».
Adoptant le type de discours anti-immigrés associé au président fasciste américain Donald Trump et au chef d'extrême droite du Parti conservateur Pierre Poilievre, les libéraux ont inclus dans leur budget une série d'attaques virulentes contre les immigrés. Selon les objectifs annoncés dans le budget, les admissions de résidents temporaires, y compris les travailleurs étrangers temporaires et les étudiants internationaux, seront presque réduites de moitié par rapport à 2024.
Les demandeurs d'asile et les réfugiés, qui constituent les segments les plus vulnérables de la population, devront désormais payer des quotes-parts pour les médicaments, les soins ophtalmologiques et d'autres services de santé. Cette mesure va de pair avec le renforcement de la collaboration des libéraux avec Trump, à travers le renforcement de l'Agence des services frontaliers du Canada et les restrictions supplémentaires sur les personnes pouvant demander le statut de réfugié contenues dans le projet de loi C-12.
Le gouvernement combine l'austérité à une propagande nationaliste visant à rallier le soutien du public autour du sacrifice patriotique. On dit à la classe ouvrière que les difficultés sont nécessaires pour défendre l'avenir de la nation. Cette rhétorique n'est pas nouvelle. C'est le langage utilisé par toutes les élites impérialistes au pouvoir lorsqu'elles se préparent à mener des guerres pour défendre leurs intérêts économiques.
La grande entreprise et les syndicats considèrent le budget 2025 comme une première étape
Une partie de la presse économique reconnaît le virage à droite mené par les libéraux sous la houlette de l'ancien banquier central Carney, mais en demande déjà davantage.
La rédaction du Globe and Mail a critiqué le budget pour ses « tergiversations et ses tours de passe-passe », soulignant que le programme d'investissement du gouvernement n'est qu'une « maigre somme » par rapport à ce qui serait nécessaire pour réorienter fondamentalement l'économie. Leur frustration est révélatrice : ils veulent des coupes plus importantes et une expansion militaire plus rapide.
Theo Argitis, du Conseil canadien des affaires, a résumé la critique de Bay Street et des conseils d'administration des entreprises : « Ce n'est pas un budget générationnel. Il va dans la bonne direction sur certains fronts, mais le gouvernement n'a pas été aussi ambitieux qu'il aurait pu l'être. Si vous cherchez à transformer l'économie, ce budget ne le fera pas. »
Au Parlement, le chef conservateur Poilievre a dénoncé le budget parce qu’il aurait créé « le déficit budgétaire le plus coûteux et le plus important de l'histoire en dehors de la COVID », soulignant le déficit budgétaire prévu de 78 milliards de dollars. Les commentaires de Poilievre ont clairement montré que le camp de la classe dirigeante qu'il représente exige des coupes encore plus rapides et brutales dans les dépenses sociales.
Pendant ce temps, la bureaucratie syndicale s'emploie déjà à faire respecter le budget par la classe ouvrière. Le Congrès du travail du Canada a publié une déclaration appelant les grands partis du Parlement à s'unir pour «renforcer ce budget » en prenant des mesures plus énergiques pour protéger les emplois et les services publics. C'est un signe de leur intention : les syndicats et leurs alliés du Nouveau Parti démocratique (NPD) faciliteront l'adoption du budget tout en se posant en critiques.
À la demande des syndicats, le NPD a soutenu les gouvernements libéraux minoritaires de Trudeau et maintenant de Carney, tandis qu’ils se déplaçaient toujours plus à droite. Cela s'est traduit notamment par : l'application d'une politique meurtrière privilégiant les profits au détriment des vies humaines au plus fort de la pandémie de COVID-19 ; l'augmentation massive des dépenses militaires ; la guerre ouverte contre la Russie ; le soutien à l'assaut génocidaire d'Israël contre les Palestiniens ; et l’interdiction par décret des grèves des cheminots, des débardeurs, des employés d'Air Canada et de Postes Canada.
Avant l'annonce de mardi, les libéraux avaient besoin d'au moins trois votes de l'opposition – ou abstentions – pour obtenir la majorité. Dans les heures qui ont suivi le budget, le député conservateur de Nouvelle-Écosse, Chris d'Entremont, a changé de camp pour rejoindre les libéraux, réduisant ainsi le seuil à seulement deux votes. Les autres partis d'opposition ayant tous indiqué leur intention de voter contre le budget, les votes (ou abstentions) du NPD seront probablement décisifs pour assurer l'adoption du budget.
L'Alliance de la fonction publique du Canada, qui négocie au nom de plus de 165 000 travailleurs fédéraux, s'est contentée d'exprimer sa « profonde préoccupation » face au projet d’élimination de dizaines de milliers d'emplois. L'AFPC s'est engagée uniquement à « protéger les services publics et les personnes qui les fournissent en faisant respecter les dispositions de nos conventions collectives et les droits consacrés par le droit du travail », ce qui signifie qu'elle s'efforcera de maintenir les travailleurs soumis au système de négociation collective pro-employeurs et prosternés devant les attaques « légales » contre leurs emplois.
L'appareil syndical tentera d’étouffer l'opposition lorsque les licenciements commenceront et que les conditions de vie se détérioreront. La réponse de la bureaucratie à la déclaration de guerre des libéraux montre clairement que son rôle n'est pas de défendre les travailleurs, mais de les maitriser au nom de l'État et du patronat.
La crise capitaliste mondiale et l’opposition de la classe ouvrière
Le budget de Carney doit être compris dans le contexte de l'effondrement capitaliste mondial et des préparatifs de guerre impérialiste. Partout en Amérique du Nord et en Europe, les classes dirigeantes démantèlent ce qui reste des structures de protection sociale afin de canaliser les ressources publiques vers le renforcement militaire. Le mouvement vers un régime autoritaire – renforcement des pouvoirs de la police, interdiction des grèves, restrictions toujours plus larges du droit de manifester, intensification des contrôles aux frontières – s'inscrit dans le même processus.
La classe ouvrière est confrontée au même ennemi et à la même lutte dans tous les pays.
La voie à suivre ne peut être trouvée par le biais du NPD, de la bureaucratie syndicale ou d'appels à la « bonne volonté » du Parti libéral. Aucune de ces forces ne s'oppose au programme militariste et d'austérité, elles le font progresser.
La défense des emplois, du niveau de vie et des droits démocratiques nécessite la formation de comités de base dans les lieux de travail, les écoles, les hôpitaux et les quartiers ; la mise en relation des luttes à travers le Canada, les États-Unis et au niveau international ; et le développement d'un mouvement socialiste international visant à réorganiser l'économie en fonction des besoins humains, et non du profit des entreprises ou de la conquête impérialiste.
Le choix posé par le budget 2025 de Carney n'est pas une question de stratégie budgétaire. Il s'agit d'un choix entre la barbarie capitaliste et la transformation socialiste. La classe ouvrière a le pouvoir d'arrêter l'assaut qui se déroule actuellement. Ce qu'il lui faut, c'est une organisation, une perspective politique et une direction indépendante grâce à la construction du Parti de l'égalité socialiste, la section canadienne du Comité international de la Quatrième Internationale.
