Enhardie par Trump, la Première ministre de l’Alberta invoque la possibilité d’une « crise d’unité nationale » si ses demandes ne sont pas satisfaites

La Première ministre du Parti conservateur uni (United Conservative Party – PCU) ultra-droitiste de l’Alberta, lance un ultimatum au futur gouvernement fédéral devant entrer en fonctions après les élections nationales du 28 avril.

Le Canada sera confronté à une « crise d’unité nationale sans précédent », prévient Danielle Smith, à moins que les demandes des barons de l’énergie de l’Alberta pour un développement à plein régime des abondantes ressources en pétrole et en gaz naturel de la province ne soient mises en œuvre dans les six premiers mois de son mandat.

Smith, dont le gouvernement a récemment adopté une loi sur la « souveraineté » de l’Alberta qui fait fi de l’ordre constitutionnel fédéral-provincial actuel, s’est rebellée de manière démonstrative contre la réponse d’« Équipe Canada » dirigée par le gouvernement libéral fédéral aux nombreuses mesures tarifaires et de menaces d’annexion du président américain Donald Trump.

Tant le premier ministre de l’Ontario Doug Ford, que la CAQ « nationaliste-autonomiste » du Québec, les autres gouvernements provinciaux et territoriaux, les syndicats, le NPD social-démocrate et la plupart des entreprises canadiennes se sont joints à Ottawa pour exhorter tous les Canadiens – indépendamment de toutes divisions de classe et divergences politiques – à « s’unir » pour « défendre le Canada ». Mais Smith et son gouvernement PCU tentent manifestement de conclure leur propre accord avec Trump.

À maintes reprises, Smith s’est rendue à Washington et même au domicile de Trump à Mar-a-Lago pour faire pression afin que les exportations de pétrole et de gaz naturel du Canada soient exemptées des droits de douane américains, en s’efforçant notamment de tirer parti des nombreuses affinités et interconnexions entre l’Alberta, la droite radicale canadienne et le mouvement fasciste MAGA (Make America Great Again) de Trump.

Smith ne cache pas le désir de son gouvernement d’intégrer encore davantage l’économie de l’Alberta au sein d’une forteresse Amérique du Nord dirigée par les États-Unis, afin de soutenir la volonté de Trump d’établir l’hégémonie mondiale impérialiste des États-Unis par le biais de la guerre commerciale et de l’agression militaire.

Le Canada, ou plus précisément l’Alberta, est actuellement, et de loin, la plus importante source d’importation de pétrole des États-Unis, représentant plus de 20 % de tout le pétrole consommé dans ce pays.

Reconnaissant à demi-mot l’importance des exportations énergétiques canadiennes pour l’économie américaine, Donald Trump a limité à 10 % les taxes à l’importation sur le pétrole, le gaz naturel, l’uranium et l’électricité canadiens, alors qu’il imposait des droits de douane de 25 % sur tous les produits en provenance du Mexique et du Canada.

Par la suite, Trump a mis en « sursis » à deux reprises les droits de douane généraux imposés à ses « partenaires » de l’accord de libre-échange Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Cependant, les deux pays sont visés par d’autres mesures commerciales de Trump contre les importations d’automobiles, d’acier et d’aluminium, menaçant de détruire les chaînes de production intégrées développées au fil des décennies, et par les droits de douane « réciproques » qu’il s’apprête à imposer à tous les pays ce mercredi. Le président fasciste américain a également continué à plaider pour la transformation du Canada en 51e État, parallèlement à ses menaces de s’emparer militairement du canal de Panama et du Groenland.

L’Alberta au service de la stratégie prédatrice de «domination énergétique» de Trump

Dès sa visite à Mar-a-Lago en décembre, Smith a exposé sans détour un plan visant à mettre les énormes réserves de pétrole et de gaz naturel de l’Alberta au service de Trump et de son objectif avoué de parvenir à une « domination énergétique mondiale ». Pour Trump, l’augmentation des exportations américaines de pétrole et de gaz naturel liquéfié (GNL), l’expansion de sa présence dans l’Arctique, riche en pétrole, et sa domination incontestée sur le Moyen-Orient sont autant d’éléments d’une stratégie visant à enrichir Wall Street et à prendre à la gorge la Chine et les autres grandes puissances rivales de Washington.

Smith, pour sa part, fait pression sur Trump pour qu’il soutienne l’augmentation massive de la production énergétique de l’Alberta et de ses exportations vers les États-Unis. Selon elle, cela permettrait aux producteurs américains de pétrole et de GNL de se concentrer sur la conquête des marchés étrangers. Son projet ultraréactionnaire repose sur le fait qu’une grande partie des pipelines et des raffineries nécessaires à sa mise en œuvre existent déjà, sont en cours d’élaboration ou, comme le projet de pipeline Keystone, sont partiellement achevés.

Danielle Smith, Première ministre de l’Alberta, en compagnie de Donald Trump [Photo: Danielle Smith/X]

Depuis sa formation en 2017, le PCU a défendu son programme réactionnaire « Alberta First ». En 2022, Danielle Smith s’est emparée du poste de Première ministre de l’Alberta et de la direction du PCU aux dépens de Jason Kenney, lui-même un ancien chien d’attaque de Stephen Harper et un droitiste notoire, en mobilisant les forces d’extrême droite, notamment les anti-vaccins, les climato-sceptiques, les conservateurs sociaux et les séparatistes de l’Alberta et de l’Ouest. Comme on pouvait s’y attendre, sous sa direction, le PCU est devenu une formation de plus en plus explicitement d’extrême droite, mariant la promotion de valeurs réactionnaires avec l’application impitoyable des intérêts des grandes entreprises, en particulier de l’industrie pétrolière et gazière.

L’ultimatum de Smith et du PCU et le spectre qu’elle invoque d’une « crise de l’unité nationale » constituent une menace implicite : si les exigences du gouvernement de l’Alberta ne sont pas satisfaites, l’Alberta pourrait se séparer du Canada et demander le soutien de Trump – que ce soit pour devenir un État « indépendant » comme le Texas l’a été entre 1836 et 1845, ou pour rejoindre les États-Unis.

Réunissant un peu moins de 5 millions d’habitants, l’Alberta représente environ 12 % de la population canadienne, mais plus du quart des exportations du Canada vers les États-Unis.

Smith a lancé son ultimatum sous la forme d’une déclaration publiée sur les médias sociaux peu après sa première rencontre avec Mark Carney depuis qu’il est devenu chef du Parti libéral et Premier ministre du Canada.

Alors que le gouvernement dirigé par le PCU s’est déchaîné contre Justin Trudeau, Carney est considéré comme n’étant pas meilleur en raison de sa longue association, lorsqu’il était banquier central puis cadre supérieur d’entreprise, avec les efforts visant à faire du Canada un leader du capitalisme « vert » et de son soutien à un plafond d’émissions de carbone pour le secteur pétrolier et gazier du Canada. Carney a également irrité Smith en refusant de s’engager à ce que, dans le cadre de ses mesures de rétorsion contre les tarifs douaniers de Trump, Ottawa n’impose jamais de taxe à l’exportation sur le pétrole et le gaz de l’Alberta.

L’ultimatum « Alberta First » de Smith

Les demandes formulées dans l’ultimatum de Smith reprennent en grande partie celles contenues dans la « Lettre ouverte aux chefs des partis politiques du Canada » datée du 18 mars et signée par les PDG de 14 grandes entreprises énergétiques, dont Imperial Oil, Suncor, Enbridge, Canadian Natural Resources et Cenovus Energy.

« À sa demande, écrit Smith dans son communiqué, j’ai rencontré le Premier ministre Mark Carney aujourd’hui. Nous avons eu une discussion très franche au cours de laquelle j’ai clairement indiqué que les Albertains ne toléreraient plus la façon dont les libéraux fédéraux nous ont traités au cours des dix dernières années. J’ai dressé une liste précise de demandes que le prochain Premier ministre, quel qu’il soit, devra satisfaire au cours des six premiers mois de son mandat afin d’éviter une crise sans précédent d’unité nationale. »

La déclaration énumère ensuite neuf demandes spécifiques qui réduiraient à néant toutes les mesures de lutte contre le changement climatique et faciliteraient l’expansion rapide de la production de pétrole et de gaz. Il s’agit notamment de garantir que l’Alberta puisse construire des oléoducs vers les trois côtes malgré l’opposition de la population, d’éliminer les réglementations relatives à l’impact sur l’environnement des projets énergétiques, de lever l’interdiction du trafic de pétroliers sur certaines parties de la côte ouest, d’éliminer le plafond sectoriel prévu pour les émissions de l’industrie du pétrole et du gaz naturel et d’annuler l’ordre du gouvernement fédéral selon lequel, à partir de 2035, toutes les nouvelles voitures devront avoir des émissions nettes de carbone nulles.

Smith s’est également attaquée au système de péréquation du Canada, inscrit dans la Constitution, en vertu duquel Ottawa fournit des transferts supplémentaires aux provinces les plus pauvres afin de garantir que les Canadiens, où qu’ils vivent, aient accès à des niveaux équitables de services publics et d’aides sociales. « Notre province, a déclaré la Première ministre de l’Alberta, n’est plus disposée à subventionner d’autres grandes provinces qui sont tout à fait capables de s’autofinancer. »

Depuis des décennies, tous les niveaux de gouvernement et tous les partis de l’establishment, y compris le NPD qui est soutenu par les syndicats, réduisent les dépenses sociales afin de consacrer des sommes toujours plus importantes pour les dépenses militaires, les réductions d’impôts et le renflouement des grandes entreprises et des riches. Néanmoins, l’élite capitaliste de l’Alberta, avec le soutien des sections les plus rapaces de la classe dirigeante d’ailleurs au Canada, fait pression depuis longtemps pour l’élimination de la « péréquation », dans le cadre de son assaut de guerre de classe contre l’ensemble des droits sociaux et de sa campagne de privatisation.

Il ne fait aucun doute que la décision de Smith de lancer son ultimatum a été motivée par le revirement soudain de Pierre Poilievre et du Parti conservateur. Pendant plus d’un an, les sondages d’opinion ont montré que les Conservateurs étaient sur le point de remporter la victoire lors des prochaines élections fédérales. Mais les tarifs douaniers et les menaces d’annexion de Trump ont changé la dynamique de la compétition électorale, permettant aux Libéraux, sous la houlette de leur nouveau chef, de détourner l’attention de leur bilan de droite, tandis que Poilievre a été mis à mal par son plaidoyer en faveur de politiques et d’appels de type trumpiens « antimondialiste », « anti-Woke » et pour « Le Canada d’abord ».

Alors que Carney ignore l’ultimatum provocateur de Smith, Poilievre qualifie pour sa part ses demandes de « raisonnables ». Le premier ministre ultra-droitiste de la Saskatchewan, Scott Moe, qui a rédigé en 2023 le Saskatchewan First Act, une loi provinciale semblable à la loi albertaine sur la « souveraineté », a lui aussi exprimé son soutien à Smith. Tout comme l’Alberta voisine, l’économie de la Saskatchewan dépend fortement de l’exportation d’énergie et d’autres ressources vers les États-Unis.

Smith a fait suivre son ultimatum d’une promesse de créer un deuxième groupe d’experts de l’Alberta, le Fair Deal Panel pour « écouter » ce que « les Albertains veulent faire » si le prochain gouvernement ne tient pas compte de son ultimatum.

Son prédécesseur, Kenney, avait mis sur pied un groupe d’experts de l’Alberta, le Fair Deal Panel, peu après l’arrivée au pouvoir du PCU en 2019, et dont le double but était de faire pression en faveur d’une plus grande autonomie de l’Alberta et d’une plus grande participation de la province à l’élaboration de la politique nationale. Ce groupe a produit une longue liste de propositions, dont certaines ont été mises en œuvre par le PCU, notamment l’organisation d’un référendum sur la suppression de la péréquation et l’examen de la possibilité de retirer les Albertains du Régime de pensions du Canada.

Pour vaincre Trump et le PCU, les travailleurs doivent s’opposer aux politiques d’« Équipe Canada » et à toutes les factions de la classe dirigeante

Les gouvernements de droite de l’Alberta alimentent depuis longtemps un sentiment régionaliste réactionnaire – déployant une rhétorique de l’« Alberta First » (l’Alberta d’abord), anti-Québec, anti-« Est » et anti-Ottawa afin de détourner la colère populaire face à la détresse économique et rallier la population derrière les demandes prédatrices des barons de l’énergie basés en Alberta.

L’« ultimatum » de Smith est cependant quelque chose de nouveau. Elle cherche clairement à établir un partenariat avec Trump, indépendant d’Ottawa, et à utiliser ses menaces d’annexion pour obtenir un effet de levier sur les rivaux de l’élite capitaliste albertaine au sein de l’État fédéral impérialiste canadien.

Il est impossible de dire avec certitude comment la situation évoluera dans les mois et les années à venir. Cependant, il est clair que dans les conditions d’une rupture totale du cadre d’après-guerre basé sur un partenariat étroit entre le Canada et les États-Unis qui a permis aux deux puissances impérialistes d’Amérique du Nord de poursuivre impitoyablement leurs intérêts mondiaux – alimentés par la crise systémique du capitalisme mondial – les factions de l’élite dirigeante canadienne attisent de plus en plus agressivement le régionalisme et même le séparatisme pur et simple pour défendre leur accès aux marchés et aux profits mondiaux. Dans la mesure où le nouveau gouvernement fédéral se sentira obligé de faire des concessions à Smith et à son PCU, cela ne fera qu’enhardir d’autres factions de la classe dirigeante canadienne à faire valoir leurs propres exigences, comme au Québec, où la campagne électorale du Bloc Québécois séparatiste demande que les décisions concernant le Québec soient prises exclusivement par les « Québécois ». Toutes ces factions sont amèrement hostiles à la classe ouvrière.

Si les travailleurs veulent vaincre Trump, son larbin en puissance Smith et tout ce qu’ils représentent – l’oligarchie, la réaction, le régime autoritaire et la guerre impérialiste – ils doivent affirmer leurs intérêts de classe indépendants en opposition aux politiques d’« Équipe Canada » soutenues par les syndicats et le NPD, et qui est dirigée par Carney et Doug Ford, et à toutes les factions régionales rivales de la classe dirigeante.

L’élite capitaliste canadienne ne s’oppose à Trump que dans la mesure où celui-ci menace ses profits et ses privilèges. Les capitalistes canadiens sont impatients de conclure un accord avec le dictateur fasciste en puissance, si seulement il leur donne une place dûment reconnue au pays en tant que partenaire junior impérialiste dans une forteresse Amérique du Nord dirigée par les États-Unis.

Suite à sa discussion avec Trump vendredi dernier – sa première depuis qu’il est devenu Premier ministre – Carney a fièrement annoncé qu’ils avaient convenu que dès que les élections seraient terminées, Ottawa et Washington entameraient des « négociations exhaustives » pour arriver à un « nouveau partenariat économique et en matière de sécurité » entre les États-Unis et le Canada.

Si ces négociations aboutissent à un accord, ce sera aux dépens de la classe ouvrière d’Amérique du Nord et du monde entier, par le biais d’une alliance militaro-stratégique canado-américaine renforcée, d’augmentations massives des dépenses militaires et du démantèlement de ce qui reste des services publics et des restrictions réglementaires imposées au capital des deux côtés de la frontière. Mais si ces mesures échouent et que Trump intensifie ses actions commerciales et ses menaces contre le Canada, la classe dirigeante exigera alors d’énormes « sacrifices » pour « sauver » l’« économie et la souveraineté » canadiennes – c’est-à-dire en procédant à des réductions d’impôts sur les sociétés à la Trump, à des privatisations, à de la déréglementation et en affectant encore plus de ressources de la société pour le réarmement.

Dans les deux cas, tant les bureaucrates syndicaux que les politiciens du NPD seront à leurs côtés, brandissant le drapeau canadien et, au Québec, le Fleurdelisé, tout en réprimant la lutte des classes et en appliquant les diktats des grandes entreprises, comme ils ont toujours fait au cours des quatre dernières décennies.

La seule réponse progressiste à la crise qui prévaut dans les relations canado-américaines, et qui s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle campagne impérialiste visant à repartager le monde par le biais de mesures de guerre commerciale et la poursuite de la guerre mondiale, est le développement d’une contre-offensive sociale et politique de la part de la classe ouvrière. Cette contre-offensive doit unir les travailleurs du Canada à leurs frères et sœurs de classe des États-Unis et du Mexique dans une lutte commune pour défendre les emplois et les droits sociaux de tous les travailleurs, s’opposer à la guerre impérialiste et lutter pour la prise du pouvoir par les travailleurs.

(Article paru en anglais le 1er avril 2025)